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Son courage est encor plus grand que sa beauté,
Le Tibre dans son onde en fut épouvante,
Et tant qu’on parlera de Home et d’Italie,
Le temps respectera la gloire de Clélie.

Comme le temps, respectons la gloire de Clélie. Je veux dire tenons-nous-en à une respectueuse distance !… Non, je ne vous mettrai pas aux prises ni avec le Grand Cyrus, ni avec la Clélie, ni avec aucun de ces vingt volumes où

… jusqu’à je vous hais, tout s’y dit tendrement.

Encore si ce style n’était que tendre ! Mais ce que je lui reproche surtout, c’est qu’il a l’air léger, et qu’il ne l’est pas. La phrase y succède à la phrase avec aisance, sans embarras ; c’est coulant, c’est limpide, et à la longue c’est étouffant. On dirait des flocons de neige ; chaque flocon pèse moins qu’une plume ; mais les flocons tombent si bien qu’on finit par être enseveli.

Que dirons-nous donc du Grand Cyrus et de la Clélie, puisqu’avant d’arriver à Mme de La Fayette il nous faut traverser cet autre carrefour de Mercure ? Nous dirons que le Grand Cyrus est la peinture du monde où avait vécu Mlle de Scudéry, habillé et déguisé à la Persane, et que la Clélie est la peinture de ce même monde, habillé et déguisé à la Romaine. Nous répéterons aussi, après M. Cousin que, dans le Grand Cyrus, composé de 1648 à 1653, et qui parut le premier, Mlle de Scudéry représenta surtout la société qu’elle avait appris à connaître dans le salon bleu, et que, dans la Clélie, elle décrivit sa propre société, celle qui se réunissait chez elle, à ses samedis au Marais, dans son propre salon, qu’elle ouvrit, alors que le salon bleu, fermé aux commencemens de la Fronde, n’était plus qu’un souvenir.

Nous ajouterons que si ces vingt volumes jouirent d’une vogue presque égale à celle de l’Astrée, bien que plus éphémère, cette vogue tient à ce que les contemporains retrouvaient dans les héros des personnages de leur connaissance, le Grand Condé, son illustre sœur, la marquise de Rambouillet, tous les habitués du salon bleu ou des samedis, et que plus d’une fois on fit des démarches auprès de l’auteur pour obtenir l’honneur d’être portraituré et de figurer dans ses romans. Mais, ce qui est plus important, ces mêmes romans étaient considérés comme une sorte d’enseignement théorique du savoir vivre, comme une école où l’on venait apprendre le beau langage et les belles manières ; et