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les conversations en particulier, qui en sont l’essence et la quintessence, renfermaient à la fois les modèles et les leçons de l’art de s’exprimer avec grâce sur tous les sujets dont se plaisait à s’entretenir le beau monde d’alors. Aussi ces conversations furent-elles extraites et publiées à part en plusieurs volumes qui parurent successivement sous le titre de : Conversations, Nouvelles conversations. Conversations morales, Entretiens sur toute espace de sujets. Et entre 1680 et 1692, à l’époque où elle commençait à être oubliée, Mlle de Scudéry, attentive à ne rien négliger pour ressaisir sa gloire qui la quittait, les réimprima en dix petits volumes qu’elle ne craignait pas de recommander comme renfermant toutes les recettes moyennant lesquelles on fait son chemin dans le monde et on s’y fait goûter.

Portraits et conversations, tout a un but dans la Clélie comme dans le Grand Cyrus ; l’auteur enseigne sans cesse ; sous sa plume féconde, les exemples et les préceptes se multiplient à l’infini, et son but avoué est de mettre en lumière l’Idéal dans les mœurs tel qu’on, le concevait de son temps, tel qu’on le mettait en pratique au salon bleu ; ou pour mieux dire, d’apprendre aux novices, aux apprentis dans l’école du monde, ce que c’est que l’homme idéal, la femme idéale, ou, pour parler le langage du temps, à quelles conditions on peut devenir un honnête homme et une précieuse. Voilà précisément la seule chose que nous demanderons aux vingt volumes. Que l’illustre Aronce épouse ou n’épouse pas l’admirable Clélie, peu nous importe. Mais il est intéressant, de savoir sous quels traits, vers le milieu du XVIIe siècle, on se peignait la perfection humaine, et personne ne peut mieux que Sapho satisfaire sur ce point notre curiosité. Esquissons donc d’après elle, et aussi brièvement que possible, les deux types qu’elle a pris tant de peine à immortaliser.

La précieuse ! Pour être juste envers elle, il faut oublier Cathos et Madelon, et leurs pommades et leurs blancs d’œufs et leur phébus, et l’ithos et le pathos ! Cathos et Madelon ne sont pas de vraies précieuses ; ce sont, comme le dit Molière, les singes des précieuses, deux petites pecques provinciales à qui la lecture des romans a renversé la tête et brouillé la cervelle ; elles sont aux véritables précieuses ce que sont les Mascarille aux vrais marquis. D’ailleurs on a depuis longtemps remarqué que la pièce des Précieuses ridicules a été composée et jouée en 1659 et qu’il y avait alors près de douze ans que le salon bleu