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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 55.djvu/803

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caractère et des manières. La précieuse devait avoir d’autres façons de sentir que le vulgaire. On exigeait qu’elle eût une délicatesse de perception, une noblesse de sentimens qui ne viennent qu’aux âmes bien nées. C’était le mélange d’une dignité qui ne sentît jamais l’effort, ni la raideur, et d’un abandon gracieux, d’un tour enjoué dans l’esprit qui se renfermât toujours dans les limites étroites des bienséances. Et tels étaient les sentimens, tel devait être aussi le langage ; toute affectation, comme toute familiarité malséante, en était bannie. Mais sans avoir l’air d’y toucher, la précieuse était obligée de donner à ses discours et à ses moindres propos un tour particulier, à la fois agréable et piquant, qui faisait paraître ses pensées à leur avantage et qui souvent prêtait à des choses rebattues un air de nouveauté surprenante.

Certes, être précieuse dans le sens précis du mot, n’était pas une entreprise aisée ; car la précieuse était composée de nuances, et des nuances aux grosses couleurs, la transition n’est que trop facile. Aussi comprend-on que le type ait promptement dégénéré. Quand on se pique d’être distinguée, et qu’on n’en possède pas le don naturel, cette préoccupation se change en la manie de se distinguer, et cette manie était assez répandue parmi le vulgaire des précieuses, car il y avait aussi un vulgaire parmi les précieuses. Dans la famille même de Mme de Rambouillet, nous voyons déjà percer les excès de la préciosité. Chose curieuse, la délicatesse de santé de Mme de Rambouillet semblait la prédisposer à ces raffinemens. « Il est vrai, dit Mlle de Scudéry, que parmi tant d’avantages qu’elle a reçus des dieux, elle a le malheur d’avoir une santé délicate, que la moindre chose altère ; ayant cela de commun avec certaines fleurs, qui, pour conserver leur fraîcheur, ne veulent être ni toujours au soleil, ni toujours à l’ombre : et qui ont besoin que ceux qui les cultivent leur fassent une saison particulière pour elles, qui sans être ni froide ni chaude, conserve leur beauté par un juste mélange de ces deux qualités. » Elle détestait surtout la chaleur du soleil, et c’est pour cette raison qu’elle institua dans son hôtel l’usage des alcôves. On raconte qu’un jour à la promenade elle s’évanouit et qu’on lui voyait bouillir le sang dans les veines ! Je ne réponds de rien, ce sont les propres expressions de Tallemant des Réaux. Mais autant le corps était faible, autant l’âme était forte.

Mme de Rambouillet, que Mlle de Scudéry a peinte dans le Grand Cyrus sous le nom de Cléomire, peut être proposée