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marchent sur Paris, lisait-on dans une gazette protestante de Leipzig. La prépondérance des élémens germains sur les élémens latins doit se manifester avec une entière évidence ; c’est ce qui a déjà eu lieu, il y a dix ans, sur le terrain colonial du Nord de l’Amérique ; le Sud, catholique et romain pur sang, ne put résister au Nord protestant et germanique ; force lui fut de plier sous lui ; ainsi, dorénavant, sur le continent européen, le protestant germain doit être le premier, et le catholique romain le second. » D’audacieuses équations étaient posées : allemand et protestant, welche et catholique, devenaient des termes synonymes[1]. Un prédicateur de la cour de Berlin, le Wurtembergeois Guillaume Hoffmann, avait prophétisé, comme suite de Sadowa, la conquête de toute l’Europe, y compris la Turquie, par l’évangile de Luther : telle était la prochaine besogne de l’Allemagne, et les catholiques n’auraient rien à dire, puisque germanisme égalait protestantisme. Un certain colonel de Holstein écrivait insolemment à Emile de Girardin : « Comment un homme comme vous n’a-t-il pas vu que l’avenir appartient aux races septentrionales ou protestantes ! L’Allemagne, terre classique du libre examen, qui avait Luther quand on ne savait pas chez vous ce qu’est la logique, l’Allemagne est destinée à être pour l’Europe ce que le pays de Franklin est pour l’Amérique. » Et sans doute semblait-il à ce colonel qu’il parachevât la gloire de sa patrie, lorsque, chez nous, maître de notre sol avant de l’être de notre langue, il accablait de son insulte le « catholicisme idiotifié. »

Quelque abîme qu’il y eût entre le mysticisme d’un Luther et le rationalisme des nationaux-libéraux, ils aimaient cette thèse facile d’après laquelle, à Sedan, Luther en personne avait gagné la partie. Ils pouvaient alléguer, à l’appui, quelques actes de l’épiscopat français : « Demandons à Dieu de vouloir bien nous faire triompher pour notre honneur de nation catholique, avait écrit l’évêque Plantier, de Nîmes. Demandons-lui la même grâce au nom de son Eglise, pour le moins aussi menacée que la France par les développemens exagérés de la Prusse dissidente. » Les nationaux-libéraux se faisaient une arme de tous les textes qui laissaient deviner un antagonisme entre l’Eglise romaine et le nom prussien. On entendait même courir

  1. Le professeur Lichtenberger, dans la Revue chrétienne de 1871, éleva contre ce « nationalisme » protestant, au nom de l’Alsace, d’éloquentes protestations.