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Ils s’étaient armés, — armés pour la paix religieuse ; mais Bismarck leur savait mauvais gré de certaines escarmouches où leur zèle pour la défense religieuse les avait engagés : rien de plus, rien de moins. Le comte de Frankenberg, catholique d’origine qui représentait un arrondissement catholique de Silésie, se trouvait en France, dans l’entourage du chancelier, lorsqu’une lettre du prêtre Majunke lui demanda des gages : avant d’élire Frankenberg, les catholiques voulaient avoir l’assurance qu’il s’associerait aux hommes politiques désireux d’introduire, dans la constitution même du nouvel Empire, quelques articles précis et fondamentaux en faveur de la liberté religieuse. Un meeting de catholiques bavarois imposait aux futurs députés un semblable engagement. Ainsi la revendication qu’avait naguère adressée Ketteler à Bismarck devenait un programme électoral : le chancelier considérait comme une erreur les garanties données à l’Eglise par la Constitution prussienne, et l’Eglise au contraire voulait avoir, dans le reste de l’Empire, les mêmes droits qu’en Prusse. Bismarck la trouvait indiscrète : une lettre de Ledochowski, un mandement et un sermon de Ketteler, échauffaient le zèle des électeurs et donnaient courage à leurs exigences ; l’Eglise faisait descente au forum, pour dire ce qu’elle voulait être, ce qu’elle devait être dans l’Empire ; Bismarck estimait que c’était à lui, non à elle, de régler ces questions-là. « On en finira bientôt avec les catholiques, » disait publiquement Miquel, à Berlin, devant un certain nombre de fonctionnaires, au lendemain de la proclamation de l’Empire. L’Eglise, en face de cette jactance, concertait certaines précautions ; et c’est de quoi on lui faisait un grief.

Le 5 mars on vota. Dès le premier tour, le Centre avait quarante-trois élus ; seize d’entre eux battaient des libéraux, dix-sept évinçaient des conservateurs. Les conservateurs, c’étaient pour Bismarck des amis d’autrefois, ceux à l’aide desquels, aux heures de crise, il avait maîtrisé la vieille Prusse. Les libéraux, c’étaient les alliés d’hier et d’aujourd’hui, qui venaient de l’aider à maîtriser l’Allemagne. Il voyait surgir un groupe qui bousculait indifféremment les uns et les autres, et qui aspirait à prendre une place dans la politique allemande. Le programme social et religieux de ce groupe exerçait un tel ascendant sur certaines populations, que des hommes tout nouveaux, des obscurs, des inconnus, remportaient d’incroyables victoires. Il y