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avait en Silésie quelques circonscriptions qui semblaient dominées, à jamais, par des aristocrates catholiques apparentés au monde de la Cour : le Centre était survenu, les avait interpellés ; habitués à ce qu’on votât pour leurs personnes, ils avaient subi l’humiliation d’être interrogés sur leurs idées ; il leur suffisait jadis d’afficher leurs particules ; ils avaient dû, cette fois, soumettre leurs programmes. Ils avaient jusque-là siégé parmi les « conservateurs libres : » on avait voulu qu’ils entrassent dans le Centre ou qu’ils sortissent de la vie publique. Un vicaire berlinois, un roturier, un Müller — nom banal et plébéien — avait osé se mesurer avec le duc de Ratibor, frère du prince de Hohenlohe et du cardinal de Hohenlohe. Les fonctionnaires, les nombreux agens que faisaient vivre les exploitations du prince de Pless, voire quelques gros curés, captifs sans doute des générosités seigneuriales, avaient bataillé pour le duc ; mais au nom des intérêts religieux, ce Müller, que l’on qualifiait d’intrus, était devenu député. La défaite de Ratibor par un « chapelain » du Centre apparaissait comme une menace pour d’autres hégémonies, à demi féodales, qui se croyaient consacrées par la périodique docilité des suffrages. Verrait-on une démocratie ecclésiastique offusquer l’aristocratie patriarcale ? L’audace du Centre irait-elle jusqu’à modifier les mœurs électorales elles-mêmes ?

C’est devant le fantôme des « Romains du Sud » qu’avait tressailli naguère l’anxieuse imagination de Bismarck ; mais la contagion dont maintenant il s’alarmait avait en Prusse même son foyer. Bismarck, trois mois avant, ne s’était pas ému de la formation du Centre prussien. « Je maintiendrai, » telle aurait pu être, on s’en souvient, la devise de ce parti : les catholiques de Prusse se jugeaient heureux, quoique menacés, et demandaient à rester tels. Mais puisqu’il y avait en Allemagne des Etats où les catholiques souffraient, un parti de défense religieuse, entrant dans un Parlement de l’Allemagne, devait se présenter comme un parti de revendications, comme un parti qui réclamerait, et qui dès lors gênerait. Les mêmes hommes qui, membres du Centre prussien, s’étiquetaient parti constitutionnel, allaient être amenés, comme membres du Centre allemand, à se conduire, au Reichstag, en parti d’opposition. Or, sur 35 députés que les pays rhénans envoyaient au Reichstag, 30 appartenaient à cette fraction-là ; elle s’honorait d’enrégimenter le cinquième