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deux mots la question : Rome ou l’Allemagne. Auguste Reichensperger, Ketteler, Windthorst, faisaient front à ces orages. Reichensperger, très pressant, demandait pourquoi l’Allemagne se priverait d’exercer des interventions diplomatiques, des interventions morales. On ne répondait pas, on feignait de croire que le Centre voulait lancer l’Allemagne dans une expédition de Rome, et remettre en question la paix de l’Europe.

Il semble que Bismarck, avant la séance, avait tenu ou fait tenir à Launay, ministre de Victor-Emmanuel à Berlin, certains propos susceptibles de rassurer complètement l’Italie. L’importance des intérêts en jeu, à la fois religieux et diplomatiques, ne pouvait échapper au chancelier. On le voyait, cependant, systématiquement négligent, n’entrer en séance que tardivement ; puis, assis à son poste, tantôt écoutant, tantôt travaillant pour lui ; quelquefois lorgnant les dames, quelquefois toisant Ketteler, il laissait se dérouler ce débat dans lequel le nouvel Empire était présenté à l’Allemagne et au monde par le député Bennigsen. Bismarck abandonnait à ce national-libéral le soin de définir le rôle de l’Allemagne ; et la définition se ramenait à ce double axiome, que l’Empire des Hohenzollern n’offrait plus rien de commun avec l’antique Saint-Empire, et qu’il avait à remplir certaines missions civilisatrices (Culturaufgaben). Ce dernier mot renfermait tout un programme, l’accomplissement de ces prétentieuses missions nécessiterait une lutte, qu’au jour venu l’on appellerait une lutte pour la civilisation (Culturkampf).

Pie IX avait refusé de se faire le serviteur de Bismarck ; Bismarck, impassible, se taisant avec affectation, laissait se livrer dès cette première heure, entre les désirs de Rome et l’esprit du Reichstag, un duel d’où Rome sortirait vaincue et déçue.

Au vote, le contre-projet du Centre ne réunit que 63 voix : il s’en trouva 243, dans les droites et dans les gauches, pour expédier à l’Empereur le texte décisif qui visait Pie IX. Guillaume répondit, avec un « cordial merci, » que les paroles de son discours du trône avaient été très exactement saisies. On interpréta la satisfaction du Roi comme un indice de la joie du chancelier : le langage de Guillaume avait rompu le silence de Bismarck. On apprit bientôt que Dœnniges, ministre de Louis II à Florence, s’associait, par un toast significatif, au vote du Reichstag. C’était une façon d’offense pour le Vatican, gratuitement infligée par la « catholique » Bavière.