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Genève que professeur honoraire et à résider la plus grande partie de l’année à Paris ; mais, comme autrefois il passait l’année scolaire en Suisse et ses vacances à Paris, il prit l’habitude de passer son année scolaire à Paris et ses vacances en Suisse, partagé entre deux patriotismes qui n’eurent jamais à se faire la guerre et qui se fortifiaient plutôt l’un l’autre ; et ce fut ainsi jusqu’à la fin de sa vie : et, maintenant, deux pays le pleurent, et tous les pays le regrettent.

Il y a dans Édouard Rod (outre un historien littéraire très distingué) un romancier et un essayiste. Je vais étudier brièvement l’un et l’autre.

Comme romancier l’évolution d’Édouard Rod a été celle-ci.

Très jeune, à cet âge où l’on se demande, comme a si spirituellement dit François Coppée : « Qui faut-il imiter pour être original ? » à cet âge où, pour parler plus respectueusement, on se croit forcé, beaucoup plus modeste qu’on ne s’avoue l’être, de s’appuyer sur une école avant de marcher en toute liberté, il entra dans le « Naturalisme, » comme on disait alors, sans dévotion, certainement, mais avec ce respect qui est fait d’un peu de timidité. Il avait plu à Zola, qui n’était pas mauvais juge du talent des jeunes, et il lui était reconnaissant d’avoir été remarqué par lui. Notez, du reste, que Rod avait en lui des parties de naturaliste, comme on aurait dit autrefois et, du naturalisme, ce que le naturalisme avait de meilleur. Il aimait le petit fait caractéristique, original, en saillie et « amusant, » pour parler comme les peintres. « Mais, ne vous y trompez pas, — disait-il, ou c’est moi qui me trompe, — je suis l’esclave du fait. » De cet esclavage, plus ou moins étroit, vous savez très bien qu’il lui est toujours, et Dieu merci, resté quelque chose, témoin la première partie des Roches Blanches et, dans l’Ombre s’étend sur la montagne, la vie à bord du transatlantique.

Cependant l’éducation était là, qui avait été tout idéologique et de méditatif et de penseur. Elle remonta, l’envahit, je ne dis pas le submergea, et le détacha peu à peu, sans que la reconnaissance faiblît jamais, de ceux qui disaient « qu’ils n’avaient pas besoin de psychologie. »

C’était vers 1885. Schopenhauer régnait et Hartmann. L’oreille toujours ouverte du côté de l’étranger, du reste de tempérament sinon triste, du moins sérieux, n’ayant pas reçu de la nature le don d’être superficiel, et bien plutôt ayant « cette