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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 55.djvu/90

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trône, reçurent de lui quelques terres confisquées. L’avarice caractéristique d’Henry VII donne à penser que ses partisans d’outre-mer furent médiocrement indemnisés. Les George descendaient de l’un d’entre eux, prétend-on, et, trois siècles après, nous les retrouvons petits fermiers, cultivant la terre de leurs mains (et quelle maigre terre ! ) dans ce même comté de Pembroke où les avait jetés l’aventure d’un prétendant. Pendant cette longue période, ils s’étaient mêlés par de continuels mariages avec la population native qui les entourait et s’étaient complètement identifiés avec elle. Pour la première fois, vers le milieu du XIXe siècle, l’un des membres de la famille essaya de faire une infidélité à la terre. Il était maître d’école à Manchester lorsqu’en janvier 1863 lui naquit un enfant qui devait réaliser au centuple ses aspirations déçues. Si le héros du douloureux roman de Thomas Hardy, Jude l’Obscur, ce paysan que dévore, que consume la soif du savoir, la hantise de la vie supérieure et de l’action intellectuelle, avait eu un fils comme le pauvre maître d’école de Manchester, l’auteur eût pu nous montrer les impuissantes velléités du père traduites par le fils en facultés et en actes. Ainsi procède la nature avare et lente, indifférente à l’individu sacrifié, à l’heure ou au siècle qui s’écoule, soucieuse seulement de ne jamais perdre un effort.

M. George le père avait échoué dans sa vocation scolaire et était redevenu paysan lorsqu’il mourut, laissant sa femme avec trois enfans dont l’un n’avait pas encore fait son entrée dans le monde. Cette famille était sans ressources. Elle trouva un protecteur en Richard Lloyd, frère de Mrs George, qui l’emmena avec ses enfans au village où il résidait, presque au pied du Snowdon, dans la région la plus montagneuse et la plus sauvage du comté de Carnarvon. Richard Lloyd était encore très jeune, mais il renonça à se marier pour se consacrer à l’éducation des enfans de sa sœur et surtout du petit David dont il fut le premier à reconnaître les talens précoces. Quelle figure intéressante que ce Richard Lloyd, en qui vit, dans son intégralité morale, avec ses préjugés et ses vertus, le puritain du XVIIe siècle, le pieux soldat qui combattait pour la liberté derrière Cromwell, sans se douter qu’il travaillait à l’établissement d’un autre despotisme. Je salue avec respect M. Richard Lloyd, bien que son neveu lui doive quelques-unes des idées avec lesquelles il s’apprête à ébranler la société moderne. Il était à la fois