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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 55.djvu/91

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cordonnier et pasteur dans cet humble village. La secte à laquelle il appartenait, avec la grande majorité des habitans, était la plus stricte parmi les Baptistes. Comme ils n’admettent point de ministres salariés, ceux qui remplissent au milieu d’eux les fonctions sacerdotales, doivent nécessairement vivre d’une profession ou d’un métier. L’échoppe de Richard Lloyd, attenante à la maison où il vivait avec sa sœur et ses neveux, était le véritable centre, le foyer de la vie du village. On y apportait, sans doute, des souliers à raccommoder ; on y venait chercher aussi des nouvelles, écouter la lecture du journal que le cordonnier pasteur traduisait couramment dans le vieux dialecte Cymry (et bientôt David l’aida dans cette tâche) ; surtout, on venait demander des conseils à M. Lloyd, soumettre à son arbitrage officieux les difficultés de tout genre qui naissent de l’existence journalière. Chacun emportait de là une bonne parole, un mot de réconfort, une direction. Humble boutique, vulgaire atmosphère, purifiée et ennoblie par un profond sentiment religieux. C’est là que M. Lloyd George a grandi. C’est de là que viennent ses qualités et ses défauts. Là il a appris à considérer comme des étrangers et des ennemis le Squire et le ministre anglican de la paroisse, un pasteur sans troupeau ou qui, du moins, ne connaît ses ouailles que pour les tondre, le tyran temporel et le tyran spirituel. Là encore, il s’est habitué à l’idée que la propriété n’est respectable que si le propriétaire l’est lui-même ; en sorte que la vigne du pauvre Naboth est sacrée, tandis que les domaines d’Achab et de Jézabel appartiennent à tous. Quoi d’étonnant si l’enfant mettait en pratique ce socialisme biblique, en escaladant les clôtures du parc seigneurial pour y voler des fruits et y capturer du gibier[1] ?

Tout jeune encore, il organise contre le recteur de la paroisse une révolte de petits garçons, révolte muette, mais d’autant plus malaisée à réprimer. Les enfans, à certains jours, étaient menés à l’église par le maître d’école du village pour y réciter le catéchisme officiel et prononcer une profession de foi qui était en contradiction avec les croyances de leurs parens. Dans l’une de ces occasions, malgré des interrogations et des objurgations réitérées, pas une syllabe ne sortit des lèvres enfantines. Ce fut

  1. Ce n’est pas une légende, inventée à plaisir par de malveillans critiques ou de compromettans admirateurs : Mr Lloyd George s’en est vanté lui-même dans son récent discours de Newcastle (9 octobre 1909).