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admirable. Le mot est de ceux que nous n’avons pas souvent l’occasion de prononcer, et le sentiment est de ceux qu’il faut savoir respecter.

Poète, et poète lyrique, M. Rostand s’est ici livré avec abondance, avec prodigalité à tous les entraînemens, à tous les caprices de sa fantaisie. Comme certaines comédies de Musset transportées à la scène en dépit d’elles-mêmes et des dieux, Chantecler est à peine une pièce de théâtre. Ce poème singulier pourrait porter en sous-titre : les Destinées de la poésie ou encore : la Confession du poète. Tel est bien le sujet, le plus personnel de tous, celui où l’écrivain nous fait entrer dans le secret de son travail créateur. Rien de plus humain que cette pièce où l’homme ne paraît pas sur la scène et où tous les acteurs sont des animaux. Pourquoi d’ailleurs cette incursion dans l’histoire naturelle et ce recours à l’ornithologie ? Il paraît, et je suis tout disposé à le croire, que ce n’est pas chez l’auteur le résultat d’un choix, et qu’il ne l’a pas fait exprès. Car nous savons comment est venue à M. Rostand l’idée première de son œuvre et qu’elle lui est venue sous forme concrète. Au hasard de ses promenades, il s’est arrêté dans une cour de ferme. Ce petit monde du poulailler lui est apparu comme une image de notre monde. Devant les travaux et les querelles des oiseaux, son imagination a évoqué les travaux et les querelles des hommes. Et le désir est né chez lui d’emprunter ce jeu d’apparences pour traduire d’intimes réalités. Ainsi l’œuvre s’offrait à son esprit sous une forme qu’il n’avait ni cherchée ni voulue, mais qui désormais s’imposait à lui. C’est la mystérieuse élaboration qui s’opère de façon inconsciente et se présente avec un caractère de nécessité. Mais dans le cadre et dans la forme qui venaient à lui, le poète pouvait enfermer tel contenu qui lui conviendrait. La Fontaine, qui écrivait à une époque de littérature impersonnelle, en reprenant le moule de la fable ésopique y a placé

Une ample comédie en cent actes divers
Et dont la scène est l’univers.

Il y a écrit les Mémoires de son temps, non les siens. Ce que M. Rostand a mis dans Chantecler, c’est lui-même, et c’est le meilleur de lui, je veux dire : son émotion devant les spectacles champêtres, son expérience de la vie et sa conception de l’art.

Donc voyons la toile se lever sur l’assemblée des bêtes. Ou plutôt, pas encore !… Il était prudent en effet de nous prémunir contre le premier choc. Certes, nous étions prévenus, et nous avions quelque peu entendu parler de Chantecler. Mais rien n’égale l’impression de la