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serait le roi des journalistes. Que dis-je ? Ce journaliste-né est à lui seul tous les journaux et tout le journal. Il recueille les échos, lance les nouvelles, parle le feuilleton et siffle la chronique. C’est pourquoi, — par nécessité de métier et hostilité de nature, — il est à la fois l’inséparable de Chantecler et son pire ennemi. Il faut qu’il s’attache à ce favori de la célébrité pour colporter le moindre de ses gestes ; et, par cette familiarité qu’il lui impose, il le compromet et le rabaisse.

Chantecler ne s’y trompe pas, au surplus ; toute sa sincérité ne l’amuse pas sur le compte de ce perfide. Mais il y a quelqu’un dans la basse-cour pour qui il éprouve confiance et gratitude. Ce quelqu’un-là n’appartient pas à la famille ailée ; il ne quitte pas la terre, région où habitent la sagesse et le bon sens. Il n’a ni le persiflage élégant du merle, ni d’ailleurs aucune espèce d’élégance. Ce n’est qu’un chien, et non pas un chien de luxe, un vieux chien de garde, laid et rauque ; mais de le sentir là qui veille dans sa niche, cela donne aux oiseaux de tout plumage une belle sécurité. Il n’est pas, lui, le suiveur de toutes les nouveautés et le courtisan, de la mode. Il loue plus volontiers le passé que le présent. Il se méfie de ce qui plaît, connaissant trop bien ceux qui s’y plaisent. Ce qui fait se pâmer les autres, lui fait contracter et plisser le front. Où d’autres applaudissent, il aboie, de toutes ses forces et de toute sa voix, comme si tous les chiens de tous les temps et de toutes les races ne faisaient en lui qu’une seule meute aboyante. Il est le défenseur des règles, et de la tradition, et du goût. On dirait un Boileau campagnard, un Nisard paysan. Un poète qui prend parti pour la critique contre les journaux… nous ne sommes pas très habitués à cela, nous autres, — dans notre niche. Je vous dis que nous sommes ici loin de toute banalité.

N’oublions pas un personnage qu’on voit peu, qu’on entend mal, mais dont la présence n’est certes pas négligeable : c’est la vieille poule qui fut la « nourrice » de Chantecler. Elle somnole beaucoup, comme c’est la coutume des vieilles gens. Quand elle sort de sa torpeur, elle a cet air un peu vague des dormeurs qui ne sont pas bien à la conversation, des songeurs qui ont peine à reprendre pied dans la réalité. Les propos qu’elle tient semblent d’abord se raccorder assez mal il a situation. Mais qu’on y prête attention, et ils le méritent, on s’aperçoit alors qu’ils sont pleins de sens, de saveur et de moelle. Ce sont, non pas propos en l’air comme ceux que de là-haut siffle le merle, mais paroles de poids que débite lentement l’oracle campagnarde, chaque fois que se lève le couvercle du panier comme s’ouvraient jadis les portes du sanctuaire où vaticinait la pythonisse. Autant de paroles, autant