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d’aphorismes. C’est vrai que les gens de la campagne parlent peu, comme s’ils avaient peine à débrouiller le songe intérieur, et qu’ils parlent presque uniquement par sentences. — George Sand, qui connaissait les paysans mieux que ne l’a fait aucun écrivain, n’a pas manqué de noter ce trait. — Ils sont les moins individualistes des hommes. Ils ont l’horreur des opinions particulières et du sens propre. Ils s’abritent derrière l’autorité des anciens. Ils se réfèrent au trésor de sagesse accumulé par les générations. Et cela ne manque pas de grandeur, ce dédain pour les modes passagères, ce respect pour ce qui dure.

Le coq chante, le merle siffle, le chien aboie, tout est pour le mieux dans cet intérieur paisible, parce que tout y est selon la règle. Le bonheur y habite qui résulte de l’ordre des choses. C’est ce genre de bonheur qui est comme l’épanouissement de la vie en conformité avec la morale. Je n’oublie pas que dans tout poulailler, depuis que les poulaillers existent, règne une polygamie que notre morale chrétienne peut difficilement admettre. Mais c’est un détail que très habilement l’auteur a su estomper, rejeter dans l’ombre, en sorte que nous l’oublions tout à fait et que nous avons, presque toujours, la sensation d’être dans un bon intérieur bourgeois, où l’on vit en famille. Hélas ! ce bonheur-là n’est guère moins fragile que l’autre. Une menace plane et s’abat sur lui. Et telle est l’entrée de la Faisane. La pauvre ! elle est poursuivie par les chasseurs. Elle cherche un abri. Elle demande protection. Qui se défierait d’elle ? Pourtant elle est l’ennemie, car ce qu’elle symbolise est en opposition et doit entrer en lutte avec ce qui fait l’essence même de ce milieu familial où on l’accueille comme une visiteuse, mais où elle ne saurait être qu’une intruse. Elle aime la vie libre, l’inconnu de l’espace sans limites, l’attrait du danger. Un génie est en elle qui combat le génie du foyer. Ceci tuera cela. D’où vient-elle, au surplus ? elle l’ignore, comme elle ignore où elle va. Tout juste sait-elle que sa race n’est pas originaire de ce pays. Les couleurs trop vives de son riche plumage font une tache éclatante parmi les teintes grises de ce petit monde aux nuances effacées. C’est l’Aventurière et c’est l’Étrangère.

Un autre danger menace Chantecler. Parce qu’il est une puissance de lumière, toutes les puissances de ténèbres doivent lui être hostiles. Parce qu’il est un oiseau de jour, tous les oiseaux de nuit doivent conspirer contre lui. À mesure que l’ombre s’épaissit, on voit s’allumer et luire l’escarboucle de leurs yeux. Ils trament contre lui des choses obscures… Cela encore, est dans l’ordre et cela doit être. Mais cela nous afflige. Nous comprenons qu’on en veut à la vie même de