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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 55.djvu/942

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qui, si l’on essayait de les juxtaposer, suffiraient presque à nous dévoiler toute la vie intérieure de l’une des plus illustres « beautés » du XVIIIe siècle.

La première de ces images est un pastel du musée de Dresde, peint par Rosalba Carriera aux environs de 1743. Nous y voyons Barberina telle qu’elle était à vingt ans, toute rayonnante de grâce, d’élégance, et de verve spirituelle, avec deux grands yeux noirs d’un éclat merveilleux, et, sur d’exquises lèvres rouges délicatement entrecloses, un étrange sourire mêlé de, volupté sensuelle et de douceur ingénue qui, aujourd’hui encore, auraient de quoi nous ensorceler comme ils ont fait de plusieurs générations de jeunes cavaliers et de vieux traitans, à Paris, à Londres, à Venise, à Berlin, dans tous les lieux de l’Europe où il a plu à la ballerine de transporter l’attrait tout-puissant de sa fraîche, légère, et subtile beauté. Peut-être n’y a-t-il pas, dans tout ce magnifique musée, un second portrait de femme aussi séduisant ; et certes, si le talent de la Rosalba a été rarement mieux inspiré que le jour où elle a exécuté cette image vivante, l’immortel pouvoir de séduction que conserve celle-ci, à travers les siècles, doit cependant tenir surtout à la personne du modèle. Irrésistiblement, nous découvrons ici une réunion sans pareille de toutes les qualités de corps et d’esprit qui nous rendent désirable la faveur d’une belle jeune femme n’ayant d’autre objet que de solliciter notre amour. Le regard, à lui seul, a pour nous le charme d’une caresse : un regard très profond, avec une pointe de malice discrète, et qui semble aussitôt nous envelopper de sa chaude lumière, tandis que l’harmonieuse inclinaison de la tête, l’abandon naturel et savant de la pose nous laissant entrevoir les contours savoureux de la gorge, en un mot tout l’ensemble de la figure atteste une maîtrise exceptionnelle dans l’art de captiver et de retenir notre faible cœur. Nous devinons que cette créature délicieuse ne cesse pas de jouer un rôle, aussi bien en tâchant à nous conquérir qu’en incarnant les personnages des ballets qu’on écrit pour elle ; son regard ne nous donne rien, en échange de ce qu’il prend de nous-mêmes ; et il ne faudrait à son sourire que l’addition d’une nuance à peine perceptible pour transformer sa tendre douceur en un mépris sans ombre de pitié : mais nous sommes ainsi faits que nous nous forçons à ignorer tout cela, — à moins pourtant que, ne l’ignorant pas, nous n’en soyons que plus vivement tentés de réussir à briser les portes de ce jeune cœur, l’un des plus fermés qu’il y ait eu jamais !

C’est là un sentiment que ne suggérera, sans doute, à nul spectateur l’autre portrait de la Barberina : mais il est certain que cette