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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 55.djvu/943

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seconde image complète, ou rectifie, à souhait la signification de la première, en même temps qu’elle achève de nous renseigner sur l’aboutissement des tendances, de toute sorte, intellectuelles et morales que nous a révélées le chef-d’œuvre de la Rosalba. Le portrait en question se trouve suspendu, désormais, au mur d’un coquet petit « boudoir, » dans ce château silésien de Barchau dont la Barberina a fait, en 1789, une manière de couvent de chanoinesses nobles, à la condition d’en rester la révérende mère abbesse aussi longtemps qu’elle vivrait. Le peintre, un consciencieux Allemand nommé Antoine Bauswein, était fort éloigné de posséder la science, ni l’agrément poétique, de la Rosalba : mais, ici encore, le modèle n’a rien négligé pour permettre à l’artiste de nous le montrer sous son aspect le plus favorable. Hélas ! ni la sobre distinction de la robe blanche et du voile imposant de l’abbesse, ni la dignité, éminemment aristocratique, de son maintien n’empêchent cette fidèle image de produire sur nous un véritable effet d’épouvante, résultant tout entier du spectacle de ce que sont devenues, au bout de quarante ans, les qualités qui nous avaient ravis dans le pastel de Dresde.

Le visage, en somme, est demeuré le même, avec les mêmes grands yeux illuminant un ovale arrondi, sous une masse de cheveux que la vieillesse, dirait-on, n’a fait que rendre plus noirs et plus abondans. Il est vrai que le sourire, lui, a décidément disparu ; et probablement l’ex-Barberina, qui s’appelle à présent la comtesse Campanini, — avec un singulier blason où figurent des clochettes, des couronnes de laurier, un cheval, et trois grues tenant un ruban dans leur patte levée, — se flatte d’avoir sacrifié à sa dignité nouvelle ce charmant emblème de sa profession d’autrefois : mais, en réalité, nous sentons que des traits comme ceux-là ne pourraient plus, dorénavant, s’animer d’un sourire, tant leur expression nous semble fixée dans une rigidité acariâtre et méchante. Impossible de concevoir une mère d’actrice ou une marchande à la toilette dont la physionomie trahisse un mélange plus affreux d’égoïsme, de rapacité au gain, de dureté implacable, et de mauvaise humeur. Il n’y a pas jusqu’à l’unique vertu que reconnaissent à Barberina ses récens biographes, à savoir « sa crainte et sa haine des prêtres, » qui ne se Use aussi sur cette face d’ancienne fille galante, déguisée en comtesse ; et je ne puis me défendre de songer que, peut-être, un peu de sympathique confiance pour les « prêtres » serait seule parvenue à adoucir, d’un léger reflet d’expansion féminine, ce regard immobile et terrible de la Barberina après fortune faite.