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Angleterre. « Le malheureux, » c’est lord Stuart Mackenzie lui-même qui signait ainsi les deux lettres écrites par lui à Barberina de Hambourg, où il attendait son départ ; et l’une de ces deux lettres, la seconde, est en vérité si curieuse que je ne puis renoncer au plaisir de la transcrire ici tout entière, — telle que les nouveaux biographes de la Barberina l’ont retrouvée, soigneusement classée avec une nombreuse-série d’autres lettres ultérieures du « malheureux » des Grieux écossais, parmi les papiers de la révérende abbesse de Barchau :


Ma femme éternellement adorée, ma chère, douce Molly, en quels termes pourrais-je te dépeindre ma douleur, lorsqu’il m’a fallu me séparer de toi d’une façon si affreuse ! Je sais bien que toi aussi, mon âme, tu auras beaucoup souffert, en revenant du théâtre et en apprenant que j’étais parti : mais toi, du moins, tu n’étais pas seule comme moi, qui n’ai personne qui puisse me consoler !

Je t’ai écrit une petite lettre où je te faisais part de la réponse de Sa Majesté ; mais je n’ai pas osé tout te dire, n’étant point sûr que la lettre le parvienne. Cette fois, je puis te parler librement ; car mon domestique, qui retourne à Berlin, te remettra ce papier en personne.

Faudra-t-il donc, désormais, que je sois séparé pour toujours de ce que j’ai de plus cher en ce monde ? Ou bien n’est-ce là qu’un rêve ? Hélas ! ce n’est que trop vrai ! Combien de souffrance accable ton malheureux mari ! Mon cœur se brise, je ne puis plus continuer : que ne donnerais-je pas pour être en état de te revoir, ne fût-ce qu’un petit quart d’heure. Oh ! Babby, j’ai peur que nous soyons séparés à jamais ! Toute ma consolation est ta chère image, que je ne cesse point de baiser, et puis ton souvenir, qui est plus pour moi que mon propre bonheur.

Lorsque je suis sorti, après le dîner, nous n’avons point pensé que nous ne devions plus nous revoir. O Dieu, où suis-je ? Fallait-il que la destinée nous apportât encore ce nouveau coup, après tout ce que nous avions déjà eu à souffrir ? O my dear babby, pense à tout ce que je t’ai dit, et aux conseils que je t’ai donnés !

Ici, à Hambourg, j’attends le bateau qui va m’emmener en Angleterre. Une longue traversée, plus de cinq cent milles anglaises, et Dieu sait quand nous arriverons, car il se trouve précisément que le vent est contraire. J’aurai à prendre une barque pour rejoindre le vaisseau, qui est amarré très loin d’ici. Pense à moi, lorsque tu entendras mugir le vent : peut-être t’apportera-t-il mes derniers saluts ! Pour moi, ma chère idole, la mort ne serait d’ailleurs que trop bienvenue !…

Je t’ai promis, mon amour, de t’envoyer, avant mon départ, une lettre avec des conseils. Mais je suis si malade, à force de chagrin, que cette lettre ne me viendra pas comme j’aurais voulu. Aussi bien n’ai-je pas besoin de te dire que tu dois te garder soigneusement de toutes les flatteries et promesses que l’on ne manquera pas de te faire ! Ces gens-là ont déjà montré toute leur fausseté, lorsqu’ils m’ont chassé d’auprès de toi. A présent, ils vont essayer de te retenir pour toujours : donc, fais en sorte