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lui témoignait quelle consolation c’était de lui voir placer la fin de sa vie à l’ombre des souvenirs et des bonnes traditions de sa première jeunesse : « J’étais sûr que cela vous plairait, » fut sa bonne et gracieuse réponse…

Je n’avais pas vu M. de Talleyrand depuis le jour où j’avais dîné chez lui ; le souvenir même de la satisfaction que j’avais eue à le voir et à l’entendre, peut-être même l’impression d’un certain plaisir que ma présence avait paru lui faire, ne m’avaient inspiré qu’une plus grande réserve. J’étais allé écrire mon nom chez lui ; mais j’avais cru, par discrétion, ne devoir pas en faire davantage. Je pensai autrement après avoir reçu son discours à l’Académie, et je voulus l’en remercier en personne…

Je me présentai donc chez lui et je lui fis demander s’il voulait bien me recevoir. « J’en serai ravi, » fut sa bienveillante réponse. Il chargea sa jeune nièce de me la transmettre sur-le-champ et de m’introduire elle-même dans son appartement… Mlle de Périgord me laissa bientôt seul avec M. de Talleyrand… Après un moment de silence, sa première parole, quand nous nous trouvâmes seuls, fut celle-ci : « Eh bien ! monsieur l’abbé, j’ai parlé du devoir, dans mon discours à l’Académie… J’ai voulu le faire en cette occasion… » Mes réponses lui exprimèrent la consolation, je n’osai dire encore les espérances, que ces graves paroles avaient données à Mgr l’archevêque et à moi-même.

« J’ai fait l’éloge de la théologie, ajouta-t-il ; ce que j’ai dit est certain, et je suis bien aise de l’avoir fait remarquer. » Je ne pus, à cette occasion, m’empêcher de le remercier en souriant, au nom de tous ceux qui ont étudié plus ou moins cette science, de l’honneur qu’il leur avait ménagé. La conversation continua très gravement sur ces matières. Il revint de nouveau à l’éloge de l’ancienne Église de France, puis aux sulpiciens, dont le souvenir se représentait toujours. Je lui témoignai encore combien j’étais touché de cette affection si fidèlement conservée pour ses anciens maîtres…

… Notre conversation se soutint sur le même ton pendant une demi-heure, puis elle devint plus sérieuse ; elle prit même une teinte de mélancolie touchante quand il me parla de sa santé, dans laquelle il avait, depuis quelques jours, éprouvé quelques atteintes. Il m’entretint aussi de son grand âge, des réflexions que la vieillesse amène à faire. « Je suis bien vieux, monsieur