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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 56.djvu/125

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LA MORT DE TALLEYRAND.

l’abbé, me dit-il, je suis bien vieux !… Cette saison est bien, mauvaise… Je vais mal !… Oui, cela va mal » ajouta-t-il avec un mouvement agité et pénible…

Les tristes paroles qu’il venait de m’adresser semblaient me révéler le secret de ses plus graves pensées et m’indiquer que ses réflexions les plus intimes étaient dès lors tournées vers un sérieux avenir : je n’en pouvais douter. Ces paroles semblaient m’inviter même à faire un pas en avant, car elles furent suivies d’un moment de profond silence pendant lequel j’observais, avec une extrême compassion, le triste abattement de ses regards et la douloureuse agitation de son âme. Il venait assurément de faire un grand effort pour me dire ces paroles, et cependant j’hésitai quelque temps à y répondre : un sentiment de réserve et de délicatesse indéfinissable, dont je m’applaudis aujourd’hui, et qui me paraissait un devoir, enchaînait mon zèle… Tout à coup, il interrompit brusquement ce trop long silence : « Comment avez-vous trouvé Mme de Dino, monsieur l’abbé ? — Bien souffrante, mon Prince, mais plus occupée de vous que d’elle. — C’est vrai, » me dit-il. Ce mot m’encouragea et j’ajoutai : « J’ai trouvé Mme de Dino et sa fille bien profondément, bien sérieusement occupées de vous. » Il me regarda avec une expression reconnaissante et attendrie, sans me répondre par aucune parole. En cet instant, je me levai pour me retirer.

Ce jour-là et les jours suivans, M. de Talleyrand parut fortement préoccupé et bien plus sérieux qu’à l’ordinaire… C’est à cette époque qu’il se rendit chez son notaire pour revoir son testament, auquel il avait fait déjà un changement important, dont je ne fus informé que plus tard, et qui, si je l’avais alors connu, eût éclairci bien des doutes, calmé bien des inquiétudes. Mais, après avoir fait ce changement, M. de Talleyrand referma son testament, le cacheta, et garda un silence absolu sur le changement qu’il y avait fait.

Ce qui est très remarquable, et ce que nous n’avons su que plus tard encore, c’est que, dix-huit mois auparavant, il avait déjà demandé son testament et y avait ajouté de sa main, à la date du mois d’octobre 1836, des paroles expresses par lesquelles il déclarait vouloir mourir dans le sein de l’Église catholique, apostolique et romaine.

… Quelques jours après ma dernière visite, j’eus la pensée de lui faire hommage du Christianisme présenté aux hommes du