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aimaient comme leur fille et les petits-enfans qu’ils adoraient, en bon-papa et bonne-maman gâteaux. Cette sincérité de douleur attendrit Gabrielle ; mais elle était trop partiale déjà contre Maurice pour se liguer avec eux : c’eût été le trahir. Elle dut prendre, avec un tact délicat, sa défense, sachant bien du reste que ni son père, ni sa mère, qui l’admiraient et le redoutaient, tant il imposait à tous le sentiment de son autorité, n’oseraient lui tenir tête.

Elle s’étonnait de la force d’une idée fixe : Maurice ne pensait plus à rien qu’aux élections imminentes. Parens, vie passée, occupations ; pour lui tout se subordonnait à ce mirage. Sa bonne foi apparaissait si évidente, il s’imaginait si fermement accomplir un devoir civique que sa conviction finissait par toucher Gabrielle ; et si contradictoires sont les sentimens de l’amour que, tout en se croyant assurée d’avoir raison, elle en eût voulu aux autres de douter de lui. Ils n’y songeaient pas. La sympathie générale enveloppait Dopsent ; et elle en était heureuse, malgré elle, émue de voir qu’il récoltait d’un coup la moisson généreuse d’efforts semés en tout désintéressement depuis des années.

Elle aurait pu savoir mauvais gré à ses amies de prendre fait et cause pour le futur député ; mais non ! L’exubérante campagne menée par Mme de Serquy, femme remuante et à qui l’on pardonnait pour sa droiture certaines vivacités de caractère ; les discrètes menées de Mme  Brousseval, lui furent moins désagréables qu’elle n’osait se l’avouer. Se laissait-elle gagner à la contagion ? Était-elle prise, elle aussi, aux risques du jeu, à la fièvre de la réussite ?

Au fond, et tout en la souhaitant, elle eût déploré la défaite, puisque Maurice dans son orgueil en eût souffert ; cette âme généreuse s’oubliait, ou plutôt, liée indissolublement à son mari pour le bien ou le mal, la joie et la peine, la fortune ou l’adversité, elle sentait bien que ce qui vibrait en lui répondait en elle, et qu’elle serait atteinte par tout ce qui le frapperait.

Malgré tout, elle éprouvait ce malaise que cause la découverte de l’inconnu. Comme l'on peut rester étrangers l’un à l’autre ! Que la pensée secrète est incommunicable ! Se sentir si près et si loin ! Et elle n’avait rien soupçonné du travail intérieur, de la sourde crise qui l’avait conduit là ! Elle le croyait heureux,