Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 56.djvu/149

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
143
LA MORT DE TALLEYRAND.

Lorsque je revins auprès du malade, il était environ huit heures ; il y avait un grand mouvement dans tout l’hôtel. Ce mouvement se faisait sentir jusque dans l’appartement du prince où je vis tout le monde s’agiter auprès de lui : on lui annonçait le Roi. Je me retirai donc encore une fois, regrettant vivement que sa confession n’eût pas précédé cette visite. Tout ce qui pouvait être une secousse me faisait peur dans l’état de faiblesse où était le malade…

L’effet de cette visite sur l’état du prince fut très grand. Il tomba dans un accablement qui effraya ; l’altération de ses traits parut profonde et, quoique sa respiration annonçât encore beaucoup de vie, quand on lui parlait, il ne répondait plus. On vint m’avertir. J’accourus, j’eus l’âme percée de ce douloureux spectacle ! Que faire ? Prier et attendre… Le malade était toujours profondément absorbé ; il y avait plus de deux heures que cet état durait ; mon inquiétude et mon embarras étaient au comble. Je reçus en ce moment une lettre de Mgr l’archevêque qui releva mon courage ; elle était pleine d’un zèle si apostolique et des joies d’une foi si vive, que mon zèle et ma foi en furent aussi ranimés. C’était la Providence qui m’envoyait cette lettre ; elle me servit d’introduction auprès du prince. Je m’approchai : « Prince, lui dis-je… » À ces mots, il ouvrit les yeux qu’il fixa sur moi ; il essaya même un sourire : « Prince, Mgr l’archevêque me charge de vous dire combien il est occupé de vous, combien votre état l’afflige, combien vous lui êtes cher… » En m’écoutant, il paraissait ému d’une vive reconnaissance, il y avait sur son visage ce je ne sais quoi de douloureux, mais d’attendri, qui donne quelquefois une expression si touchante au visage des mourans ; il trouva encore la force de parler : « Je suis bien sensible, dit-il d’une voix faible, mais distincte, aux bontés de Mgr l’archevêque ; je le remercie… beaucoup. » Je l’interrompis pour lui épargner la fatigue d’un effort prolongé. « Mgr l’archevêque, ajoutai-je, bénit Dieu surtout de votre courage à consoler la religion et à mettre votre conscience en paix. » J’ajoutai : « Oui, mon Prince, vous avez ce matin donné à l’Église une grande consolation ; maintenant je viens, au nom de l’Église, vous offrir les dernières consolations de votre foi, les derniers secours de la religion. Vous vous êtes réconcilié avec l’Église catholique, que vous aviez affligée ; le moment est venu de vous réconcilier aussi avec Dieu par un nouvel aveu et par un