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LA CRUE DE LA SEINE.

un caractère essentiel et normal : on les qualifie de torrens et ils se rencontrent dans des pays fortement accidentés, dont le sol est étanche ou peu perméable. Leur lit est ordinairement à sec, rempli de grosses roches arrondies, associées sans aucun classement avec des galets de toutes les tailles, des graviers et des sables de tous calibres et même avec des limons accumulés çà et là. Tout à coup, à la suite d’une pluie d’orage ou d’un adoucissement très notable de la température, ils se précipitent des sommets avec un bruit de tonnerre, brisant sur leur passage les arbres et les constructions, et viennent étaler à leur embouchure un vrai delta très large et très surbaissé de matériaux charriés. Ces cours d’eau sont un détail obligé de la physiologie de la montagne et, malgré les catastrophes dont ils sont prodigues, leurs points d’épanchement sont habités bien souvent par des cultivateurs, attirés par l’extraordinaire fertilité de leur sol hétérogène.

Parmi les explications proposées des crues subites des torrens et de la violence de leur allure, il en est de bien ingénieuses et qui frappent par leur caractère imprévu. Du nombre, est certainement celle qui a été émise, il y a une trentaine d’années, comme conséquence de ses travaux de physique moléculaire, par M. Van der Mensbrughe, professeur à l’Université de Louvain. Tout le monde sait que la couche superficielle des liquides jouit de propriétés très différentes de celles des portions internes. Une tension spéciale y règne, qui se manifeste avec son maximum dans les lames dont les bulles de savon nous offrent l’exemple le plus répandu. Selon le physicien belge, chaque fois qu’une masse liquide change de forme de façon à diminuer de surface, une quantité correspondante d’énergie potentielle est transformée en énergie cinétique.

Par exemple, la disparition de 1 mètre carré de surface libre amène le développement d’une énergie cinétique capable de donner, à une couche de 1/20 000 de millimètre d’épaisseur, une vitesse de 54m,20 par seconde. Si la couche d’eau considérée avait 1 millimètre seulement d’épaisseur, elle contiendrait 20 000 tranches semblables à la précédente, capables d’effectuer ensemble, par mètre carré, un travail total de 150 kilogrammètres. Appliquant ces résultats du calcul à l’interprétation des faits naturels, l’auteur conclut que, lorsque plusieurs cours d’eau se déversent dans un seul et même bassin, il se perd