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moraliste le Grand Cyrus et la Clélie, ces fidèles miroirs de l’esprit qui régnait à Paris au milieu du xviie siècle. À coup sûr, le moraliste aura plus à louer qu’à blâmer. Ce sont de très honnêtes héros que ceux de Mlle de Scudéry, ils sont la plupart d’un caractère irréprochable ; ils vivent dans une atmosphère de sentimens purs et délicats, et les aventures dans lesquelles ils s’engagent sont propres à leur faire honneur. Ces personnages n’ont donc point de vices ; mais ils ont des défauts, ceux de leur temps, qui sont au point de vue littéraire une maladie plus grave, plus dangereuse que tous les vices. Ces défauts, on les peut ramener à un seul qui les résume : « L’infatuation de soi-même. » Oui, les héros de ces romans sont infatués d’eux-mêmes, comme le vulgaire des auteurs de cette époque, comme la Sapho, comme les héros historiques de la Fronde. Il n’y a point de grands intérêts qui les absorbent et ils retombent sur eux-mêmes, recourant à leur propre personne pour remplir leur vide. Il en résulte que leurs vertus sont peu méritoires, car n’étant passionnés qu’en apparence, il ne s’est jamais livré dans leur âme de combats bien sérieux. Que dis-je ! Leurs vertus ne leur sont chères qu’à cause du parti qu’en tire leur vanité. Ils composent leur air, leur attitude, ils font parade de grands sentimens, ils posent en société et dans la solitude, ils posent le jour et la nuit, et même en dormant. Et comme le faux et le petit vont de compagnie ainsi que le vrai et le grand, leur frivolité s’absorbe dans le détail de leur vie et de leurs pensées ; ils détaillent leurs sentimens, leurs actions, et ils s’occupent sans cesse aussi du détail de leur langage. Quand on songe que les romans de Mlle de Scudéry, où s’étale avec tant de complaisance un amour de soi sans limites, allié à tant de bel esprit, et à des grâces si pleines d’afféterie ; que ces romans, où de froides intrigues politiques sont entrelacées à des intrigues amoureuses plus froides encore, où l’étiquette du sentiment remplace la vraie passion, et qui ne renferment pas une seule situation qui intéresse l’esprit et saisisse fortement le cœur ; quand on pense, dis-je, que ces romans sont les plus grands monumens que la poésie ait pu créer au milieu du xviie siècle, il est permis de penser que le génie littéraire de la France était malade à ce moment-là, de ce mal que je ne craindrais pas d’appeler le poison du Scudérisme.

Il y avait Corneille ; mais, si grand que fût son génie, il ne