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LE ROMAN FRANÇAIS.

représentait pas le génie tout entier de la France. Donc, au moment que la poésie des précieuses et des honnêtes gens s’en va mourant de sa belle mort, une nouvelle poésie naît qui sera grande, parce qu’après s’être longtemps cherché, l’esprit moderne s’est enfin trouvé, et que, prenant conscience d’elle-même, la France esquisse son propre idéal où tant de hardiesse est associée à tant de mesure, où tant de force est dissimulée par tant de délicatesse ; cet idéal où la raison domine et tient en équilibre toutes les facultés. Et cet idéal, en même temps, elle l’incarne dans quelques-uns de ses enfans, qui vont attirer sur eux l’attention du monde, ainsi que dans les héros d’une nouvelle poésie qui méritera d’être appelée classique, et où les littératures étrangères viendront chercher des enseignemens. Et cette littérature atteindra à la perfection de la forme, parce que par delà les chefs-d’œuvre des littératures italienne et espagnole qui faisaient loi au commencement du siècle et dont Corneille s’était surtout inspiré, elle s’en va chercher les modèles de l’antiquité grecque et romaine.

Cette littérature sera grande aussi parce qu’elle naît et se développe à une époque d’enthousiasme, et que la grandeur des pensées et du style est à ce prix. L’enthousiasme pour la royauté rendue visible dans la personne d’un roi qui la représente avec une majesté et un éclat qu’on n’avait point encore vus. Ah ! sans doute cette religion nouvelle aura ses superstitions et ses idolâtries. Mais l’enthousiasme même excessif, même puéril, vaut mieux que l’infatuation de soi-même. Et d’ailleurs, ce roi est plus qu’un homme ; il est la personnification vivante de la France, de l’idée même de patrie inconnue jusqu’alors, du Grand Condé lui-même, qui ne craignit pas de tourner contre son pays l’épée qu’il avait portée sur le champ de bataille de Lens et de Rocroi. Et ce roi est plus encore qu’une idée, il est un dogme. Car si étrange que nous paraisse aujourd’hui le droit divin, c’est la religion même qui le consacrait alors ; et croire en celui qui tenait de Dieu même sa couronne et qu’il avait choisi pour gouverner son peuple, c’était, comme s’en explique Bossuet, une façon de croire en la Providence. Et d’ailleurs ce roi, objet de tant d’hommages, en dépit de ses fautes, de ses vices, de ses préjugés et de ses ignorances, il était grand par l’esprit, par le caractère et par l’âme. Et pour ne parler ici que de ce qu’il fut pour les lettres, il sut les protéger sans