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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 56.djvu/32

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REVUE DES DEUX MONDES.

Il connaissait peu Le Vigreux et s’en méfiait d’instinct, encore qu’il fût de ces bandits sédiiisans à première vue, à qui l’on ne peut refuser un charme félin :

— Je n’ai pas pris parti, hasarda-t-il. Comme une mouche à venin, le regard noir de Sigismond Pec se posa sur son visage ; le journaliste eut un sourire hideux :

— Évidemment, vous voulez savoir où vous marchez ? Le Vigreux est le plus sûr des alliés. Faites vos conditions. Maurice réprima un haut-le-corps :

— Qu’entendez-vous par là ?

— Rien que ce que vous entendrez vous-même. Nous avons avec nous tous les hommes de demain, la tête de votre parti : Fernacques, Ligones seront ministres ; les sous-secrétariats des Beaux-Arts et de l’Intérieur ne sont pas encore distribués. Le Vigreux vous fera votre part : choisissez.

Maurice regarda Pec en face ; quelle puissance était-ce donc que cette Presse qui se targuait de distribuer les portefeuilles, empiétait sur les attributions du Parlement ? Par solidarité froissée et point d’honneur, il répondit évasivement, car La Voix Publique et son directeur étaient à ménager :

— Je crois le Ministère solide ! Il a obtenu avant-hier une majorité considérable.

— Vous voulez rire, fit le journaliste. Attendez trois jours. Ce sera un beau tapage ; avec nos révélations sensationnelles sur l’affaire Soulice, nous avons de quoi le noyer dans la boue.

L’affaire Soulice, un prétendu trafic de croix ! Dopsent entrevit la qualité du marché qu’on lui proposait. Il se décida :

— Non. Je ne ferai rien contre eux. J’ai là des amis.

— En politique, dit Pec, il n’y a pas d’amis. Si vous croyez qu’ils se gêneraient à votre place ?

Maurice sourit, crâne :

— Chacun sa morale !

Pec eut une expression dégoûtée, se gratta la tête :

— Au fait, vous êtes nouveau, vous ne pouvez pas savoir ce que vaut notre appui ou notre haine. Le Vigreux vous a remarqué, c’est que vous représentez une valeur. Après tout, l’honnêteté est une force.

Il resta pensif, pareil à un poussah morne. Ces paroles, même venant de cette bouche tarée, furent agréables à Dopsent : on comptait avec lui, sur lui. Dans les couloirs, les commissions,