on répétait déjà son nom. Son visage devenait familier à ses collègues. On le déclarait quelqu’un. Cela flatte toujours.
— Je comprends, reprit Pec, vous vous réservez : vous avez raisou. On se brûle toujours assez tôt. Durer, tout est là.
Il ajouta :
— J’oubliais. Le patron serait heureux de vous voir collaborer à La Voix Publique. Articles de tête. Questions sociales. Toute liberté. Vos prix seraient les nôtres, cela va de soi.
Dopsent, séduit, — quelle magnifique divulgation pour ses idées ! — faillit accepter d’emblée. Sa prudence le retint. La Voix Publique avait compromis plus d’un de ses rédacteurs, parmi les plus notoires. Que de campagnes soi-disant entamées pour le bien commun qui, brusquement, cessaient ! Que de chantages obscurs ou éclatans, à en croire les bruits fâcheux. Député, il ne devait prêter à aucun soupçon. Il répliqua :
— L’offre est séduisante. Laissez-moi y réfléchir.
Pec dehors, il se frotta les mains, satisfait de lui. Il n’avait pas mal manœuvré. Si le Ministère tombait, il n’y serait pour rien. Si l’on pensait alors à lui, pourquoi refuserait-il son concours ? L’Intérieur, ou les Beaux-Arts ? À vrai dire, il n’était préparé ni à l’un ni à l’autre. Mais les sous-secrétaires d’État actuels, l’étaient-ils plus, lorsque le président de la République avait signé leur nomination ? Et ces articles qu’on lui proposait ? Du coup, il passait en vue. Allons, bravo !… Il se formait. Cependant, tout cela lui laissait dans la bouche un goût de tristesse, et, dans l’âme, quelque honte. Bah ! c’était la vie.
Il pressa le bouton électrique :
— Faites entrer M. Crapennes.
C’était l’homme décoré, le loup-cervier, banquier parisien, célèbre au pesage et dans les restaurans de nuit. Il venait proposer à Dopsent, qui eut la sagesse de refuser, une place au Conseil d’administration et une part d’actions dans une affaire magnifique qu’il lançait : « les Moteurs d’aviation réunis. »
Et après lui, Maurice, le cerveau clair, la parole nette, comme enfiévré de lucidité et de résistance, reçut le suivant, puis un autre, et puis un autre…