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UNE VIE D’IMPÉRATRICE.

odieuse dont la grande-duchesse imputa la responsabilité, bien à tort d’ailleurs, à la comtesse Golovine et dont elle lui garda rancune au point de rester brouillée avec elle pendant plusieurs années, n’ébranla pas la confiance du grand-duc dans sa femme, « Si on veut me brouiller avec le grand-duc, on n’en parviendra pas à bout, déclarait-elle ; lui qui n’ignore aucune de mes pensées et de mes actions ne peut jamais se brouiller avec moi et je les en défie sur ma tête. Oh ! je le sens, c’est bon de n’avoir rien à se reprocher vis-à-vis de son mari, on peut affronter tout. Tout cela vient pourtant de cette chère comtesse Golovine sur laquelle je me suis trompée pendant cinq ans et que ce n’est que depuis quelques jours que je vois clair… Vous serez étonnée de cette lettre et de la véhémence avec laquelle elle est écrite. Mais, c’est que ces injures sont encore toutes fraîches ; au fond elles me sont fort indifférentes par les raisons que je vous ai dites. Ah ! maman, quels gens ! et qu’il est affreux de se tromper sur des gens qu’on croyait honnêtes et bons. »

De cette lettre comme de celles qui la suivent dans le recueil du grand-duc Nicolas, il résulte que ces douloureux incidens n’amenèrent aucun refroidissement entre les époux et qu’encore à cette époque, Elisabeth n’avait aucun motif pour mettre en doute la fidélité d’Alexandre. C’est l’année suivante et dans un des bals masqués qui furent donnés à l’occasion du carnaval qu’il commença à distinguer Mme  Narychkine. À en croire la comtesse Golovine à qui nous devons ce détail, tandis qu’il faisait sa cour, il se découvrit un rival dans la personne de Platon Zoubof, l’ancien favori de Catherine. Ses deux adorateurs se seraient alors promis que le moins favorisé céderait sa place à l’autre. La victoire serait restée à Zoubof et, toujours d’après la comtesse, le grand-duc aurait renoncé à cette femme qu’il ne pouvait que mépriser. Si ce récit est exact, il est au moins incomplet, puisque peu après l’avènement d’Alexandre, ses relations amoureuses avec Mme  Narychkine n’étaient plus un mystère pour personne.

Nous ne savons comment Élisabeth les découvrit ni à quel moment elle en acquit la certitude. C’est en janvier 1804 qu’apparaissent dans sa correspondance des propos qui démontrent qu’elle n’ignore plus rien.

« Quant à moi, ma bonne maman, persévérance et patience resteront toujours les principes de ma conduite et le temps ne