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UNE VIE D’IMPÉRATRICE.

qu’elle ne s’était pas bien portée comme je crois que je suis grosse. Ne trouvez pas, maman, qu’il faut avoir un front inouï pour cela ? Elle savait très bien que je n’ignorais pas de quelle façon pouvait être sa grossesse. Je ne sais ce que tout cela deviendra et comment cela finira, mais je sais que je n’altérerai plus mon caractère ni ma santé pour un être qui n’en vaut pas la peine, car, si je ne suis pas devenue misanthrope et hypo-condre, il y a du bonheur. J’ai fait plus que je ne croyais pouvoir endurer. Mais il y a une mesure de patience qui surpasse les forces humaines. Ajoutez à cela que l’Empereur est le premier à tourner en ridicule une conduite sage et qu’il tient à ce sujet des propos réellement révoltans dans la bouche de celui qui doit veiller à l’ordre, aux mœurs sans lesquelles il n’y a pas d’ordre. »

Un peu plus tard, la colère qu’on sent vibrer à travers ces confidences se transforme en compassion. La fille que l’Empereur a eue de sa maîtresse meurt au berceau : « Je ne sais, mande l’Impératrice, si Amélie vous a écrit un événement qui m’a bien frappée et qui m’aurait fait croire à une juste Providence, si je n’y croyais pas. C’est la mort de cette enfant dont l’existence et la naissance m’avaient causé tant de chagrins. Il me semble réellement que la Providence ne veuille pas souffrir d’enfant illégitime dans cette famille. C’est au mois d’août que cette mort arriva et je plaignis l’Empereur du fond de mon cœur, parce qu’il était vivement et profondément affligé pendant près de huit jours ; mais il faut que la mère s’en soit consolée bien vite parce que sans cela il ne l’aurait pas été aussitôt. Au reste, elle avait perdu un autre enfant l’hiver passé et elle avait dansé trois semaines après. L’amitié que je témoignai à l’Empereur à cette occasion, sans aucun effort car elle est et sera toujours dans mon cœur pour-lui, et la part que je prenais à sa peine me valut presque de la tendresse de sa part ; mais pendant une quinzaine de jours seulement. D’ailleurs il est très bien pour moi quand nous sommes ensemble, mais ces momens ne sont ni longs ni fréquens. Quant à ma manière d’être à son égard, maman, je ne puis vous en donner un meilleur témoignage que de vous renvoyer à l’opinion de sa mère qui, certainement, doit être plus partiale qu’une autre et qui me répète sans cesse qu’elle me trouve parfaitement bien pour lui… L’idée de toutes les mains par lesquelles ma lettre passera m’empêche de me livrer davan-