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habités par les anciens uniates. De cette façon, on espère soustraire toute cette contrée aux influences polonaises et catholiques[1].

Le passage en masse d’un grand nombre de ces paysans d’origine ruthène au catholicisme et à l’Eglise polonaise va finir ainsi par tourner contre les Polonais et contre le catholicisme. Détachés du « Royaume, » annexés aux provinces du Sud-Ouest de l’Empire, ces districts, réunis en un nouveau gouvernement, celui de Kholm (Chelm), se verraient assujettis à un régime plus dur encore pour les Polonais et pour les catholiques que celui de la Pologne.

Ce projet contre le Royaume du Congrès de 1815 n’a eu jusqu’ici qu’un résultat, prévu par le gouverneur général Skallon, comme par ses prédécesseurs ; il n’a fait qu’exaspérer les Polonais. L’indignation parmi eux est universelle. A leurs yeux, cette mutilation du petit royaume du Congrès, héritier de l’ancien Grand-Duché de Varsovie, n’est rien moins qu’un autre démembrement de leur infortunée patrie, comme une amputation nouvelle de leur chair polonaise toujours saignante.

Ce que la bureaucratie pétersbourgeoise présente comme une simple modification de limites administratives est, pour les trois tronçons de la Pologne, une violation manifeste des traités de Vienne, aussi bien que des solennels engagemens pris par la Russie vis-à-vis des Polonais, lorsque fut relevé, au profit du tsar Alexandre Ier, le titre de roi de Pologne. A Varsovie comme à Cracovie, on craint, peut-être à bon droit, que cette atteinte à l’intégrité du « Royaume » ne serve un jour de précédent à d’autres démembremens, au profit de l’Allemagne ; car les pangermanistes n’ont pas oublié que, avant Iéna et Tilsitt, la Prusse régnait à Varsovie. Les Polonais font remarquer que, parmi les sept ou huit cent mille âmes du nouveau gouvernement de Chelm ou Kholm, les orthodoxes resteront encore en minorité ; ils disent que, si l’on veut faire du « Royaume » une Pologne strictement ethnographique, il faut au moins lui restituer

  1. Un congrès russe orthodoxe, tenu en janvier 1910 dans la ville de Chelm ou Kholm, sous l’influence des popes et des instituteurs russes, a montré ce qu’on attend de cette mutilation du royaume de Pologne. Le Congrès a exprimé la confiance que, une fois enlevés au Royaume, les anciens uniates seraient facilement ramenés de nouveau à l’Église orthodoxe officielle. Pour assurer aux orthodoxes la majorité dans les institutions représentatives à créer dans le nouveau gouvernement de Kholm, il a demandé que 60 p. 100 des sièges à pourvoir fussent réservés par la loi aux orthodoxes, là même où ces derniers seraient en minorité. Voyez le compte rendu du Novoié Vrémia 5/18 janvier 1910.