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s’ils ne sont pas provoqués par le seul fanatisme, les antipathies religieuses y ont une part trop manifeste. Mais dans la Russie contemporaine, tout comme dans l’Espagne ancienne ou dans l’Europe du moyen âge, si l’intolérance, si les préjugés religieux ne restent pas étrangers aux mouvemens populaires contre les Juifs, ils n’en sont pas la seule cause.

A plus forte raison, en est-il ainsi de la législation russe sur les Juifs. Loin d’être uniquement inspirées du zèle de la foi chrétienne, ces lois vexatoires, assurément peu conformes à l’esprit évangélique, sont surtout dictées par des considérations nationales ou des rivalités économiques. Et ce qui est vrai de la Russie contemporaine ne l’était pas moins de l’Espagne ou de la France d’autrefois. Comme ces dernières, si la Russie a longtemps poursuivi l’unité religieuse, c’est dans un intérêt politique, parce qu’elle y voyait le seul moyen d’atteindre l’unité morale. Or, nous savons, par expérience, comment la recherche de l’unité morale conduit, rapidement, à l’intolérance les partis même et les gouvernemens qui se vantent d’être dégagés de tous préjugés religieux. L’erreur séculaire du gouvernement russe, erreur qui a été longtemps celle de tous les souverains et de tous les peuples, de l’Espagne de Philippe II et de la France de Louis XIV à l’Angleterre des Tudors, a été de chercher l’unité dans la conformité religieuse. Cette erreur archaïque, la Russie du XXe siècle n’a pas encore su s’en affranchir ; tant qu’elle n’y aura pas réussi, elle aura peine à établir chez elle la pleine liberté religieuse.

Aux considérations nationales se joignent, pour maintenir la législation restrictive des droits des Juifs, les appréhensions économiques. Ces craintes, non plus, ne sont pas particulières à la Russie. Les Russes, comme les Roumains, ne se croient pas en état d’affronter en toutes choses la concurrence des Juifs. En interdisant certains domaines ou certaines provinces aux Israélites, ils prétendent se réserver, ainsi qu’une chasse gardée, un champ d’action à l’abri de tout empiétement, de la part d’une race dont ils redoutent l’habileté, l’énergie, l’esprit d’entreprise, A cet égard, les lois impériales qui enferment les Juifs en certaines provinces et en certaines professions sont, de la part des Russes, comme un acte d’humilité, en même temps qu’un aveu d’infériorité. En fermant l’intérieur de l’Empire aux Israélites, en les parquant dans la Pologne et les régions de l’Ouest, en leur