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où les lois sur les Juifs et contre les Juifs ont pu être abrogées impunément. Le nombre même des Israélites rend la question en Russie plus grave que partout ailleurs ; puis, c’est être injuste envers les Russes que de les comparer à leurs voisins d’Occident. Quelques progrès, en tous sens, qu’ait accomplis le vieil Empire slave, la masse de ses habitans est loin d’avoir atteint, au point de vue intellectuel ou économique, le même degré de culture que les peuples du centre ou de l’Ouest de l’Europe. Chose plus attristante, que personne encore n’a peut-être signalée, la Russie, quant à l’égalité civile et religieuse, se trouve aujourd’hui en arrière de la Turquie. L’égalité des droits civils et politiques que la majorité des Russes orthodoxes persiste à refuser aux Israélites, les Turcs musulmans l’ont accordée sans résistance aux Juifs de Turquie, aussi bien qu’aux chrétiens. Il est vrai que, dans l’Empire ottoman, la liberté religieuse, sans être encore complète, du moins pour les musulmans, était, de longue date, autrement large que dans l’Empire des Tsars. Il est vrai aussi que, en Turquie, la tolérance légale n’arrêtait pas les explosions du fanatisme populaire, — quand ce n’était pas, ainsi que, hier encore, sous le sultan déchu, les autorités, gardiennes des lois, qui déchaînaient les bandes de massacreurs.

Si la Russie contemporaine se montre ainsi moins libérale que la Turquie nouvelle, est-ce par fanatisme, par pur esprit d’intolérance ? Non, assurément. Attribuer uniquement à l’intolérance orthodoxe les lois de la Russie sur les Juifs, ou, d’une façon plus générale, la législation religieuse de l’Empire sur les cultes dissidens, c’est ne voir, en ces délicates questions, qu’un côté des choses, le plus apparent comme le plus choquant, mais non le seul. Pas plus que les oukases sur les uniates, sur l’abolition dans l’Empire du rite grec-uni, les lois et règlemens sur les Juifs n’ont été dictés, uniquement, par des considérations religieuses, par un zèle outré pour la foi orthodoxe.

Est-ce à dire, comme ne craignent pas de l’affirmer certains écrivains russes, que la religion et l’intolérance y sont absolument étrangères ? Nous n’oserions aller jusque-là ; les pogroms, les pillages et massacres de Juifs qui, en ces dernières années, ont ensanglanté, impunément, tant de villes russes ne nous le permettent point. Ces pogroms, fomentés souvent par des superstitions ou par des légendes homicides, comme la croyance au meurtre rituel, se reproduisent d’habitude aux fêtes de Pâques ;