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et détachait la boucle qui l’arrêtait. Une fois même, qu’on avait entortillé cette boucle avec une petite corde dont on avait multiplié les nœuds, il les dénoua tous, sans en rompre aucun. Une certaine nuit, après s’être ainsi débarrassé de sa courroie, il brisa la porte de sa loge si adroitement, que son conducteur, qui dormait auprès, n’en fut point éveillé ; il passa dans plusieurs cours de la ménagerie, brisant ou renversant ce qui s’opposait à son passage, et alla visiter les autres animaux qui, effrayés de son énorme figure, inconnue pour eux, se sauvèrent dans les endroits les plus reculés du parc de Versailles. Pourtant, c’était un animal craintif, qui avait en particulier grande peur des pourceaux ; un jour, le cri d’un petit cochon le fit fuir fort loin. Bien qu’il ne fût pas méchant, il était vindicatif, et on cite de lui un certain nombre de traits de malice ou même de violence. Il mourut en 1681 après avoir vécu treize années à la ménagerie. La dissection de son corps, faite sous la direction de Perrault, montra que ce n’était pas un mâle comme on l’avait cru jusqu’alors, mais bien une femelle.

Pendant ces trente-cinq premières années de son existence, la ménagerie de Versailles servit donc à l’amusement du peuple en même temps qu’à la magnificence du grand Roi ; elle fit plus, elle servit encore au progrès des sciences zoologiques. À cette époque, pourtant, la philosophie était médiocrement favorable aux études d’histoire naturelle. Jansénius condamnait « la recherche des secrets de la nature comme une curiosité inutile, indiscrète, une concupiscence de l’esprit. » Et Malebranche écrivait : « Les hommes ne sont pas faits pour considérer des moucherons et l’on n’approuve point la peine que quelques personnes se sont donnée pour nous apprendre comment sont faits certains insectes et la transformation des vers. Il est permis de s’amuser à cela quand on n’a rien à faire et pour se divertir. »

En dépit de ces préventions, la jeune Académie des sciences ne craignait pas de mettre en tête de son programme d’études, à côté des mathématiques, les sciences par excellence, la physique, c’est-à-dire la science de la nature. Deux académiciens soumettaient à Colbert leurs idées sur ce sujet : Claude Perrault lui envoyait un mémoire qui fut imprimé en tête de l’Histoire de l’Académie des sciences. Et Huygens lui écrivait ces lignes qui devraient être méditées encore aujourd’hui par les zoologistes : « La principale occupation de cette assemblée (la section