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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 56.djvu/564

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animal appelé chapas, plus beau et mieux marqueté qu’un tigre, doux et flatteur comme un chien. » Elle nous apprend enfin qu’on pouvait apporter son repas, qu’on avait la permission de prendre en ce lieu, et qu’il y avait dans le parc, tout près de la ménagerie, une petite machine peinte et dorée qu’on nommait roulette et dans laquelle, assis à son aise, l’on glissait et l’on roulait avec une extrême rapidité du haut en bas d’une pente fort droite.

Ce fut en compagnie de Boileau, Molière et Racine que La Fontaine visita la ménagerie à la même époque. Notre grand fabuliste venait d’écrire son joli roman de Psyché et, comme les « quatre amis » avaient alors l’habitude de se lire réciproquement leurs œuvres avant de les livrer à l’impression, ils avaient résolu de venir entendre le récit des aventures de Psyché dans le parc de Versailles. Ils y arrivèrent un matin d’automne, munis, nous dit La Fontaine lui-même, d’un « billet qui venait de bonne part. » Ce fut par la ménagerie qu’ils commencèrent leur promenade ; ils y admirèrent, à leur tour, les demoiselles de Numidie ; mais ils remarquèrent surtout les pélicans que La Fontaine appelle une « espèce de cormoran » et qu’il décrit ainsi : « certains oiseaux pêcheurs qui ont un bec extrêmement long, avec une peau au-dessous qui leur sert de poche. Leur plumage est blanc, mais d’un blanc plus clair que celui des cygnes ; même de près, il paraît carné, et tire sur la couleur de rose vers la racine. On ne peut rien voir de plus beau. » Au reste, les quatre amis trouvèrent l’occasion de faire un peu de philosophie à la ménagerie. Ils « admirèrent en combien d’espèces une seule espèce d’oiseaux se multipliait et louèrent l’artifice et les diverses imaginations de la nature, qui se joue dans les animaux comme elle fait dans les fleurs. »

Bien que La Fontaine n’en parle pas, c’était l’éléphant donné par le roi de Portugal, qui retenait le plus longuement les visiteurs. On n’avait pas vu en France de pareil animal depuis le temps d’Henri IV : aussi les visiteurs se pressaient-ils pour observer toutes ses manières, pour dessiner ses formes, mesurer ses dimensions, et « chercher des preuves de cette intelligence que les auteurs s’étaient plu à célébrer. » Cet animal prenait, dans la main même des enfans, tout ce qu’on lui présentait. A l’aide du doigt qui termine la trompe, il se débarrassait avec facilité de la double courroie de cuir avec laquelle on attachait ses jambes,