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pages de la Cour ne se gênaient-ils pas pour s’en faire une risée. Dès qu’il entrait dans la chambre royale, « il s’établissait, entre les pages de service et le capitaine, une lutte très plaisante qui aboutissait à l’enlèvement de sa perruque que l’on jetait sur le ciel-de-lit ; mais le capitaine, en guerrier prudent, avait toujours dans ses poches de quoi réparer ses pertes. C’était à qui inventerait des niches pour faire enrager ce pauvre diable, qui s’en consolait aisément avec de bonnes places et de bonnes pensions. Enfin, le Roi étant devenu plus triste, et le capitaine plus musqué que jamais, on finit par lui interdire l’entrée de la chambre du Roi, à son grand regret et à son grand scandale. »

La dépense du Roi pour le traitement du personnel de la ménagerie (inspecteur et employés subalternes seulement) fut, en 1789, de 6 800 livres ; l’entretien de la ménagerie proprement dite coûta la même année 36 000 livres. La nourriture des carnivores se composait de viande de bœuf qu’on payait dix sous la livre ; le chien, que nous verrons tout à l’heure tenir compagnie à un lion, recevait 6 livres de pain par semaine et les autres animaux mangeaient en 1778 : 12 000 bottes de foin, 3 000 bottes de paille de blé ; 300 bottes d’avoine, 75 septiers d’avoine, 50 septiers d’orge, 10 septiers de vesce.

Ces quantités d’alimens, relativement très grandes, n’impliquent pas, au temps de Louis XVI plus qu’à celui de Louis XV, la présence à la ménagerie d’un très grand nombre d’animaux, mais il y avait, cette fois encore, de gros mangeurs. Le rhinocéros venu du Cap en 1770 vivait toujours, et la ménagerie avait reçu le 19 août 1773, neuf mois avant la mort de Louis XV, un nouvel éléphant qui avait été envoyé de Chandernagor. On plaça d’abord ce dernier dans la cour des Pélicans, puis dans celle du Rond d’eau, et c’est peut-être de cette époque que date le grand bassin qu’on y voit encore aujourd’hui. L’éléphant était une femelle âgée de deux ans quatre mois. On le nourrit à peu près comme celui de 1681, mais on ajouta à sa ration un « ragoût composé de recoupe, d’oignons, de beurre, de sel et de poivre. » On lui donnait aussi du vin, dont son gardien lui faisait déboucher les bouteilles, en public, avec sa trompe ; de l’eau-de-vie et même les visiteurs prenaient plaisir à lui offrir le contenu de leur boîte à tabac, ce qu’il paraissait aimer beaucoup. « On était obligé de le graisser tous les trois ou quatre jours, avec de l’huile de poisson, pour remédier au gercement de sa peau ;