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OUTRE-MANCHE
LENDEMAIN D’ÉLECTIONS

Le 21 février 1910, Edouard VII, dans son cortège traditionnel, quittait Buckingham Palace pour gagner Westminster.. Chaque année, à pareille date, le bon peuple de Londres voit passer les mêmes berlines, rouge et or, le même carrosse, massif et lourd, encadré des mêmes hallebardiers, escorté des mêmes life-guards. Et d’ordinaire, seuls les chômeurs, les oisifs et les femme » trouvent le temps d’aller revoir cette « procession, » dont les officians sont choisis et les rites fixés d’après des règles séculaires. Mais, en 1910, une foule exceptionnellement nombreuse se presse dans les allées du Mall. De bonne heure, les chômeurs, les vagabonds et les pauvres, ces trois classes de la plèbe anglaise, aussi soigneusement hiérarchisée que l’aristocratie, reconnaissables à la propreté décroissante des casquettes et au rapiècement grandissant des vestons, se serrent en groupes silencieux, aux abords du palais royal. Ils contemplent, sans mot dire, les allées et venues, derrière les grilles de leur caserne, des Guards affairés. Ils examinent, sans desserrer les dents, les gestes minutieux avec lesquels, dans un ordre méthodique, des jardiniers dessinent, nettoient et sablent la route du cortège, — tels ces sacristains, qui, dans un village de France, préparent, avec une activité plus fébrile et un entrain plus bavard, la voie par où passera la procession sacrée. Un peu plus tard, quand sonne l’heure du lunch, les employés d’Oxford Street descendent en rangs pressés. Puis les démolisseurs, les manœuvres et les maçons, occupés aux