Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 56.djvu/649

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les ministres convoquèrent les Chambres sans même en référer à l’Empereur et, dès que celles-ci furent assemblées, ce fut l’opposition qui vit grandir son influence et qui paralysa le patriotisme de la majorité et la marche du gouvernement. » Elle ne paralysa rien du tout. Les événemens désastreux, qui se suivaient sans relâche, furent plus forts que les hommes. « Depuis cette époque, déclare Napoléon, les ministres semblèrent craindre de prononcer le nom de l’Empereur et celui-ci, qui avait quitté l’armée et ne s’était dessaisi du commandement que pour reprendre en mains les rênes de l’Etat, se vit bientôt dans l’impossibilité de remplir le rôle qui lui appartenait. »

Ceux qui ont vu l’Empereur à cette date, — et j’en connais encore, — n’oublieront jamais le lamentable spectacle de ce prince malade, accablé de tristesse, sans autorité, sans crédit aucun, s’informant, comme un subordonné, auprès des généraux de ce que devenait l’armée, de ce qu’on allait faire, à peine écouté, à peine renseigné, ombre mélancolique errant à la suite des soldats qui, les uns le plaignaient, les autres ne le respectaient déjà plus !

L’infortuné raconte encore dans sa brochure la conférence de Châlons, l’hésitation logique de Mac Mahon à aller sacrifier son armée pour secourir vainement Bazaine, l’opposition du ministère à la rentrée sous les murs de Paris, la soumission définitive du maréchal, homme du devoir, à un sacrifice inutile, voulu par des politiciens. Il décrit la composition de l’armée de Châlons, à laquelle on imposait le plan le plus difficile et le plus téméraire, les ordres et les contre-ordres, la défaite de Mouzon ; puis, la lutte héroïque de nos braves soldats à Sedan, placés dans la situation et les conditions les plus défavorables, sa présence personnelle au milieu des troupes pendant cinq heures sous une pluie de projectiles et enfin la nécessité d’une capitulation reconnue inévitable par les commandans des divers corps d’armée. Il rapporte ses propres angoisses, sa lettre au roi de Prusse, ses entrevues le 2 septembre à Donchéry avec Bismarck, puis au château de Bellevue avec le Roi, et il dit que « le souvenir néfaste de cette journée ne s’effacera jamais de son esprit. » Voici comment il conclut. Cette page est d’un intérêt saisissant. La voici tout entière :

« Une si épouvantable catastrophe, conclut l’Empereur, ne doit pas seulement nous arracher des larmes ; elle doit être aussi