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quittait jamais et montait dans ses pensées les plus sérieuses comme naguère la musique d’Upsal dans le clocher des églises, le matin de l’Ascension. D’ailleurs, patiente, d’une exactitude scrupuleuse, appartenant à cette admirable lignée de jeunes filles qui se consacrent à des parens, à un frère, à une idée, et dont les moins heureuses font de la Suède le royaume aimable des vieilles filles. Dans ce pays où la femme mariée atteint plus rarement à la splendeur de la maturité, la demoiselle, soigneuse d’elle-même et que son activité conserve, garde souvent dans la mélancolie du célibat l’exaltation de la jeunesse. Selma Lagerlöf imagine que Fréderika Bremer assiste en rêve à une messe de minuit où se sont rendues toutes les vieilles demoiselles de la Suède. Elles la bénissent d’avoir été ce que leurs pareilles deviendront un jour, « la servante des foyers, mais de mille foyers en même temps, « la garde-malade « qui lutte contre l’épidémie des préjugés, » la conteuse qui berce le sommeil des enfans. « Son nom a résonné dans le Vieux et le Nouveau Monde : cependant elle n’était qu’une vieille demoiselle. »

Mlle Elsa en était une jeune, et très florissante. Mais elle eût accepté, sans désespoir, la perspective, assurément peu vraisemblable, de chanter plus tard cette messe de minuit. « Certes, disait-elle, je désire me marier. La nature est là qui veut que les jeunes gens et les jeunes filles désirent se marier. Mais, si je ne rencontre personne que j’aime, je ne me sentirai pas du tout à plaindre. C’est si bon, l’indépendance ! » Elle parlait de la nature sans fausse pudeur, et non sans quelque affectueuse rudesse, comme d’une puissance bourrue et bienfaisante.

Elle me disait encore : « Je ne sais rien faire de ce que font les dames ; mais je sais labourer, tisser, filer, pétrir le pain et baratter le beurre.

— Vous savez aussi jouer de la musique et chanter.

— Oh ! très peu de musique, et je ne chante que pour les vieilles femmes, le dimanche.

— Mais vous avez voyagé en France, mademoiselle Elsa ; vous connaissez le français et l’anglais et l’allemand. Vous avez beaucoup lu. Vous êtes très instruite.

— Ce n’est pas de l’instruction, cela ! Je ne suis qu’une paysanne qui apprend à soigner les malades.

Elles s’en acquittait à merveille, et, malgré qu’elle en eût, sa culture me paraissait aussi étendue que celle de l’élite des jeunes