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filles suédoises. Comme elle essayait toujours de penser par elle- même, j’estimais que, sur tous les points où la bibliothèque ne supplée pas à l’expérience, son instruction était plus profonde et plus savoureuse.

Un lundi matin, elle entra dans ma chambre avec un bouquet de fleurs des bois.

— Ah ! me dit-elle, j’ai été bien heureuse hier soir : je me suis promenée en forêt jusqu’à neuf heures et demie.

— Je le sens à vos fleurs, et je le vois à vos mains qui sont piquées par les moustiques.

— Très peu ; ma compagne les chassait ; moi, j’y suis habituée. Il y en a tant dans ma province de Helsingland que, si vous passez les doigts sur le flanc d’un cheval au pâturage, vous les retirez rouges de sang. Ça ne fait rien ; c’est si beau, la forêt !

Elle s’assied et je remarque, au coin de ses prunelles, la petite lueur « trollesque » qui m’indique aussi sûrement l’éveil de sa fantaisie que le feu Saint-Elme révèle la présence d’une électricité mystérieuse.

— Vous avez dû naître en forêt, mademoiselle Elsa ; contez-moi votre enfance.

Mais elle se lève, elle repousse sa chaise, elle secoue la tête, elle n’a pas le temps de dévider ses confidences. La voilà qui balaie, qui époussette, qui retape mes oreillers, qui reborde mon lit. Elle fredonne ; elle rit ; je la sens toute reprise par la pensée de sa vie d’autrefois. Et cette vie, peu à peu, me deviendra familière. Un mot le matin, deux le soir, un souvenir par-ci, une histoire par-là, un bout de rêverie : Mme Elsa refait devant moi le nid de son enfance.

J’aperçois un presbytère, mais un presbytère qui ressemble à une ferme et où l’on travaille comme dans une ferme. Son père était pasteur et fermier tout ensemble. Le dimanche, il célébrait les offices ; les jours de semaine, il allait vendre lui-même le lait de ses vaches. On le tenait certainement pour un original ; mais son originalité ne choquait personne. En quoi les soins de la glèbe et de l’étable seraient-ils plus incompatibles avec l’idée du sacerdoce que des études de botanique ou d’histoire ? Il faisait fructifier sa terre : cela ne l’empêchait pas de conseiller ses paroissiens, de les encourager à vivre d’une vie plus spirituelle, et, au besoin, de les aider à mourir. Il se montrait sévère pour les autres et pour lui dans l’accomplissement de tous les devoirs ;