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il descend, au cours de ses tournées, « dans de misérables chaumières » plutôt que de demander l’hospitalité « à des curés ou à des seigneurs même amys... » Sans doute ces derniers étaient peu disposés à jouer le rôle de délateur, à se faire l’écho de basses dénonciations !

On voit, par ces détails, à quel point l’application de la taille tarifée exposait les contribuables à des procédés vexatoires. Malgré les apparences, les tarifs n’étaient pas moins impuissans à prévenir l’arbitraire des agens du pouvoir. Ceux-ci avaient beau jeu pour accueillir ou refuser les déclarations, au gré de leurs caprices, pour admettre celles de leurs amis, même si elles étaient manifestement inexactes, pour rejeter celles de leurs adversaires sous les prétextes les plus futiles. Les intendans disposaient d’ailleurs d’un droit qui nous paraît aujourd’hui exorbitant, celui d’établir des cotes d’office, c’est-à-dire de taxer par eux-mêmes et en dehors des règles administratives telles personnes qu’il leur convenait. En principe, ces taxes d’office étaient destinées à réparer des omissions ou erreurs dans les rôles, à empêcher que des fonctionnaires, — mal vus des populations, de par leur situation, comme les employés des aides ou des gabelles, — ne fussent accablés par des collecteurs vindicatifs. Dans la pratique, il en était autrement, les cotes d’office étaient rarement justifiées par des considérations sérieuses ; trop souvent les intendans en usaient comme d’un moyen d’influence, soit que, pour se concilier les bonnes grâces de quelque grand seigneur, ils accordassent des « cotes d’amour » à tel manant ou fermier, soit qu’ils infligeassent des « cotes de punition » à un récalcitrant.

En définitive, avec les privilèges, dont jouissaient les membres du clergé et de la noblesse, avec les faveurs plus ou moins indûment accordées « aux frères et amis, » il existait maintes paroisses ou la moitié, les deux tiers même des chefs de famille ne payaient aucun impôt. Tout le poids du contingent retombait sur ceux que Boisguilbert appelle des « indéfendus, » c’est-à-dire sur des paysans n’ayant aucun protecteur pour plaider leur cause en haut lieu.

Les méfaits de l’impôt personnel furent éloquemment dénoncés par les économistes. Turgot montre l’industrie découragée, les campagnes appauvries, chaque laboureur occupé à cacher son aisance afin d’éviter toute entreprise qui pourrait