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faute de données précises, l’administration taxait les redevables sur des cancans de petite ville ; elle savait par les fournisseurs, par les gens de la localité, si un gentilhomme faisait ou non « de la dépense, » s’il donnait des réceptions, des fêtes, s’il roulait carrosse... et de là en déduisait le chiffre probable de ses revenus. Ce système aurait été odieux si le taux de l’impôt, au lieu d’être relativement bas, avait été élevé, si les cotes individuelles avaient atteint des chiffres tant soit peu considérables ; en ce cas, l’arbitraire de la répartition aurait pu entraîner de telles injustices que les fortunes auraient risqué de s’en trouver atteintes et compromises.


III. — LE DIXIEME ET LES VINGTIEMES

L’impôt du dixième, auquel succéda ultérieurement celui du vingtième, constituait une troisième forme d’impôt sur le revenu, la plus perfectionnée de celles que l’Ancien Régime connut. On se rappelle dans quelles circonstances le dixième fut créé. C’était aux jours les plus sombres de la guerre de la Succession d’Espagne. Les armées françaises venaient d’être successivement défaites à Oudenarde et à Malplaquet ; les Impériaux s’étaient emparés de Lille et menaçaient la Picardie. Pour continuer la guerre et pouvoir imposer aux alliés une paix honorable, l’argent faisait défaut, le Trésor royal était à sec.

Dans ces conjonctures, le contrôleur général Desmarets, s’inspirant de la législation en vigueur dans les Flandres et en Hollande, proposa au Roi d’exiger de tous les habitans du Royaume une contribution égale au dixième du revenu de leurs biens. Le projet fit scandale. Ainsi donc, les agens du fisc allaient être amenés à pénétrer « dans le secret des familles ; » ils auraient le droit « de tirer de chacun une confession de bonne foi nette et précise, de son bien, de ses dettes actives et passives. » Quel bouleversement dans les consciences ! quel trouble apporté jusqu’au fond des provinces ! Le Roi s’en émut. « Quelque accoutumé qu’il fût, dit Saint-Simon, aux impôts les plus énormes, » il ne laissa pas que de s’épouvanter à l’idée du dixième et se tourmenta au point que sa santé s’en trouva altérée. Pour rassurer son esprit, il s’adressa au Père Le Tellier et fit demander une consultation « aux plus habiles docteurs en