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c’est leur poids. La douzaine de fourchettes, au temps de Louis XIII, pesait 245 grammes, — 20 grammes chacune, — c’està-dire quatre fois moins que les nôtres en 1910. L’écart entre les cuillers à potage, de 50 grammes la pièce autrefois à 90 grammes aujourd’hui, est beaucoup moindre ; mais le « couvert » actuel ne remonte pas au delà de 1650, et nous le devons au duc de Montausier, plus connu comme auteur de la Guirlande de Julie ou comme gouverneur du Grand Dauphin que comme « inventeur des grandes cuillers et des grandes fourchettes, qu’il mit à la mode. » Saint-Simon note à ce propos que « M. de Montausier, qui vivait avec une grande splendeur, était d’une propreté redoutable. »

La « grande fourchette » ne dut pas faire sans difficultés son chemin dans le beau monde. Dans le peuple, il ne fut rien innové ni pour la fourchette, ni surtout pour le couteau. Les aubergistes, sous Louis XVI, omettaient encore de mettre des couteaux sur la table, parce qu’il allait de soi que chaque voyageur avait le sien en poche.

S’il est impossible d’évaluer, comme je le disais plus haut, ce que les Français pouvaient avoir d’argenterie à la fin du xviie siècle et ce qu’ils en possèdent aujourd’hui, nous observerons toutefois que, depuis la découverte de l’Amérique jusqu’en 1690, il n’avait été extrait en deux cents ans que 60 millions de kilos d’argent. Depuis 1690 jusqu’à nos jours, il est sorti des mines 300 millions de kilos, — cinq fois plus, — dont 160 millions depuis l’année 1861. De la production annuelle, qui dépasse maintenant 5 millions de kilos dans le monde, la France, d’après les calculs de l’administration des monnaies, absorbe 200 000 kilos au minimum, dont une moitié sert à divers usages industriels ou artistiques (glaces, photographie, bijouterie, médailles, etc.) et dont l’autre moitié est transformée en argenterie massive ou galvanique. En admettant la même proportion pour l’époque de Louis XIV, où la production de l’argent n’excédait pas 350 000 kilos par an, les Français eussent employé à leur orfèvrerie de table quelque 7 à 8 000 kilos par an au lieu des 100 000 kilos actuels.

L’accroissement et la diffusion des richesses contemporaines, la baisse de prix de 50 pour 100 du métal blanc suffisent à justifier ce progrès énorme de la consommation. Le baron de Ruolz, compositeur d’opéras médiocres dans sa prime jeunesse,