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L’ÉVOLUTION DES DÉPENSES PRIVÉES.

qui, à trente ans, se révéla chimiste de génie et prit en 1841 son premier brevet pour l’argenture par la pile voltaïque, mit, par cette découverte capitale, à la portée de plusieurs millions de familles, des couverts en tout semblables à ceux dont usait seule auparavant une élite de privilégiés.

La couche d’argent étendue sur cette vaisselle démocratique emploie cinq fois plus de kilos chaque année qu’il n’en était consacré sans doute il y a deux siècles à fabriquer toute l’argenterie neuve. Les inventaires nous apprennent combien était restreint sur ce chapitre le luxe de la bourgeoisie et même de la plupart des maisons nobles de province : une douzaine, très rarement deux, de cuillers et de fourchettes, une aiguière, une paire de flambeaux, « engagés » en cas de besoin, c’était tout.

III

La vaisselle de la classe aisée était d’étain ; dans son château de Montbéliard un duc de Wurtemberg n’en a presque pas d’autre, et de même un comte de Ludres. À cette nuance près que les maîtres se servaient d’étain « tonnant » ou de Flandres, à 4 francs le kilo ; tandis que les domestiques mangeaient dans un métal à 1 fr. 30, appelé « étain commun, » mélange où le plomb entrait pour les quatre cinquièmes, et par là même excellent pour remplacer les balles de fusil quand elles venaient à manquer dans un siège. Des temps féodaux aux modernes, l’étain avait baissé de prix : tel qui eût hésité à l’employer sous Louis XI ou François Ier, lorsque les assiettes coûtaient 4 et 5 francs et qui se contentait de les louer 5 centimes la pièce pour un grand dîner, se décida à en acheter sous Louis XV lorsqu’elles ne se vendaient plus que 2 fr. 50.

On avait essayé sans succès au

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d’un alliage, — à 33 fr. le kilo, — où l’étain raffiné, durci, acquérait l’éclat de l’argent. Cette composition se prêtait mal au façonnage en vaisselle armoriée et surtout à une refonte indéfinie, d’où l’étain, malgré ses défauts, tirait sa principale supériorité sur la faïence.

Si l’usage de la faïence, argile poreuse, enveloppée d’une poudre métallique que la fusion transforme en un émail imperméable et poli, mit deux cents ans à se faire préférer au métal, — depuis les premières œuvres de Bernard Palissy jusque vers la fin de