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25 000 tonneaux. Pour se tenir en avance sur les événemens, il ne serait pas inutile aujourd’hui d’en préparer de 30 000, comme en Amérique. Sans doute ce dernier chiffre lui-même ne tardera-t-il pas à se trouver dépassé. Il est cependant des bornes, au moins momentanées, à un pareil développement de l’unité de combat. Tournant jadis en ridicule la tendance signalée par M. Laubeuf, on poussait ses conclusions à l’extrême ; on montrait une flotte réduite à un seul immense navire. L’augmentation des budgets navals dans tous les pays permet, à vrai dire, d’accroître notablement la dimension du bâtiment de ligne sans en arriver à une telle extrémité.

Mais l’accroissement des tonnages trouve pratiquement d’autres limites, d’abord dans la technique même des constructions navales, assez prudente pour ne point risquer des sauts trop brusques ni brûler des étapes, ensuite dans les conditions des ports. À des dimensions plus grandes des bateaux doivent correspondre des formes de radoub nouvelles, dont le coût est considérable, et qu’il faut longtemps pour édifier. Les bassins à flot, eux-mêmes, deviennent trop étroits pour les grandes longueurs, trop peu profonds pour les grands tirans d’eau. Nous avons vu que le Lion anglais doit mesurer 210 mètres de long ; la Mauretania, qui en compte 232, cale 11m,30. Car la stabilité oblige à une certaine proportion des formes. Les grands cuirassés allemands ayant jusqu’à 29 mètres de large ne peuvent franchir le canal de Kiel, limité primitivement à 22 mètres de largeur et 9 mètres de profondeur. On va l’élargir à 44, le creuser à 11 et sans doute bientôt à 14. À Suez, on s’organise pour les bateaux de 12 mètres de tirant d’eau. Le port de New-York en fait autant. Déjà l’Arkansas américain obligeait à retoucher les plans du canal de Panama pour le porter de 30 à 33 mètres. On s’arrête enfin pour ce dernier à 35m,53, juste suffisans pour le cuirassé de 30 000 tonnes en projet.

Toutes ces difficultés peuvent retarder le mouvement vers les grands tonnages : elles ne sont pas de nature à le borner définitivement. Car il n’y a là que des questions d’argent, de la nature de celles auxquelles toutes les puissances maritimes ont toujours dû faire face. Les conditions géographiques favorables présentées par ses côtes n’eussent pas suffi à la grandeur navale et commerciale de l’Angleterre : il y fallait encore de séculaires efforts d’aménagement, la construction de vastes bassins,