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LA CROISSANCE DU CUIRASSÉ.

l’approfondissement des ports naturels. Un exemple vient de nous en être donné à Douvres où cent millions ont été dépensés en quelques années. À Hambourg seul plus de 300, peut-être de 350 millions furent mis en œuvre depuis cinquante ans ; le Brésil, avec les travaux en cours, en aura consacré 600 à ses grands ports, la République Argentine 460 à Buenos-Ayres depuis 1885. Au total, les 20 ports principaux du Royaume-Uni ont reçu en quarante ans environ 2 milliards et demi pour leurs améliorations. Partout l’industrie, même l’industrie militaire, accroît son efficacité par l’accumulation d’énormes capitaux fixes. Et rien ne s’oppose matériellement aux travaux nécessaires pour gagner, soit sur la terre, soit sur les rades, les espaces réclamés par les flottes de l’avenir, si pesantes soient-elles.

Une autre objection porte sur le principe même du cuirassé. Sa raison d’être la plus évidente est dans la prééminence du canon sur tous les autres élémens du problème naval. On peut envisager une époque où cette royauté, tout indiscutable qu’elle apparaisse encore aujourd’hui, prendra fin par l’effet de progrès nouveaux. Le canon semble approcher de sa portée extrême utilisable. Le combat commence et se décide à 8 000, peut-être 10 000 mètres ; on tire sur un ennemi presque à l’horizon[1], en tout cas malaisément discernable. Bien que le progrès de l’éclairage et des instrumens de visée puisse en étendre encore le champ, on aperçoit le terme au delà duquel on ne pourra plus tirer faute de voir. Quand on y sera parvenu, le canon aura complètement réalisé tout ce qu’on saurait attendre de sa grande supériorité, qui consiste à frapper de loin. Et c’est alors que le perfectionnement des armes qui le concurrencent trouvera chance de rétablir l’équilibre en leur faveur.

La principale d’entre elles est la torpille automobile. Il n’y a pas longtemps que sa portée officielle ne dépassait guère 400 mètres. Elle-même restait d’ailleurs soumise à tant d’irrégularités, si lente, si imprécise dans sa trajectoire, que les torpilleurs ne se tenaient assurés de toucher le but qu’en s’approchant

  1. Leur poids et les nécessités de leur protection limitent la hauteur où l’on peut situer les blockhaus. En admettant que leur plate-forme ne dépasse guère une altitude de 8 mètres au-dessus de la flottaison, l’horizon de l’observateur, qui regarde du haut d’une dizaine de mètres, serait à environ 11 kilomètres sur la mer.