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Dœllinger avait, à deux reprises, réclamé certains délais pour mûrir sa décision ; patiemment, Scherr les avait consentis. « Comme chrétien, comme théologien, comme historien, comme citoyen, je ne puis accepter la doctrine de l’infaillibilité, avait signifié Dœllinger à la date du 28 mars ; » et il proposait la réunion d’une conférence dans laquelle il était tout prêt à discuter et à se défendre ; des théologiens, des historiens laïques, non moins capables que les théologiens de constater scientifiquement ce qu’est la tradition, et un fonctionnaire d’Etat, choisi parmi les spécialistes en droit canon, l’écouteraient, l’interrogeraient et apprécieraient ; Scherr pourrait présider, si bon lui semblait. De toute évidence, le professeur et l’archevêque parlaient deux langues différentes : celui-ci, au nom de Rome, réclamait une soumission ; celui-là était tout prêt à improviser un tribunal de savans auquel il en appellerait des décisions conciliaires et devant lequel il se dresserait comme une sorte de procureur général de la science, du germanisme, et des droits de l’État : « Des milliers dans le clergé pensent comme moi, ajoutait Dœllinger ; et parmi les laïques, des centaines de milliers. »

Se grisant de ces calculs, que ne vérifia pas l’avenir, Dœllinger oubliait ce que six ans plus tôt il écrivait à l’historien Cantù : « Moi, me séparer de l’unité de l’Église ! Vous ne croirez certainement pas que je déshonorerai ainsi le reste de mes jours en agissant et enseignant autrement que dans les quarante années antérieures. » Le membre écouté du parlement de Francfort et de l’assemblée épiscopale de Wurzbourg, l’orateur précis et chaleureux qui avait, en 1848, défini et revendiqué les libertés de l’Église allemande contre les indiscrètes bureaucraties d’État, semblait ne jeter le gant, aujourd’hui, à la majorité du Concile, dont le jugement était devenu celui de l’Église, que pour se mettre au service des susceptibilités de l’Etat. En voulant, même, qu’un fonctionnaire bavarois dît son mot dans la chimérique conférence où serait discutée et jugée l’œuvre œcuménique, ne rouvrait-il pas la porte à ces bureaucraties contre lesquelles s’étaient insurgés, jadis, son éloquence et son zèle ? « Les idées théocratiques, insistait-il, ont contribué à la ruine du Saint-Empire, et si elles prévalaient parmi les catholiques d’Allemagne, un germe morbide, incurable, contaminerait l’Empire nouveau. »

Vingt-neuf ans auparavant, la jeune éloquence de Hefele,