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de la Prusse. Car la Prusse, lentement et sûrement, s’était faufilée dans le palais des Wittelsbach, par les portes de service et les corridors des chambellans ; et ce n’était pas dans Bray, mais dans Lutz, ministre des Cultes et de l’Instruction, qu’elle faisait reposer sa confiance.

Lutz, fils d’un maître d’école, avait hérité de son père une certaine jalousie instinctive à l’endroit des grands ; le prince de Hohenlohe, son coreligionnaire politique cependant, en fut victime. Mais ce sentiment même, inconscient peut-être en lui, devait le rendre d’autant plus accessible à leurs avances occultes, à leurs sollicitations, à leurs sourires, à toute la série d’habiles courtoisies qui devant lui les amèneraient à se faire petits. Il était bon juriste, subtil et tenace, trop logicien sans doute, mais c’était à ceux qui se serviraient de lui de l’apprendre à compter avec les opportunités et d’obtenir que sa dialectique lucide, au lieu d’aboutir prématurément à des conclusions impolitiques, s’évadât et s’attardât, lorsqu’il le faudrait, dans le commode maquis des paperasses, Lutz, tel quel, par ses qualités et par ses travers mêmes, pouvait être un bon serviteur pour Bismarck.

Il demeurait personnellement étranger aux manies théologiques de son Roi. Son attitude, à l’origine, consistait à ne pas connaître les décisions conciliaires. Un prêtre du diocèse d’Augsbourg, Renftle, curé de Mering, affectait de se révolter contre le Concile et entraînait avec lui sa petite paroisse : Lutz, en dépit de l’évêque Dintel, le maintint dans sa cure. Renftle voulut que tous les enfans fussent contraints de suivre son catéchisme ; Dintel conjurait qu’ils en fussent tous dispensés ; Lutz les renvoya dos à dos, et n’exempta des leçons de Renftle que les enfans dont les parens le souhaiteraient. Un dogme que les évêques de Bavière avaient publié sans demander le placet n’existait pas pour Lutz. Mais il y a des ignorances systématiques qui sont nécessairement éphémères ; c’est par une sorte d’abstraction factice que l’on s’y cantonne, jusqu’à ce qu’on en soit débusqué par l’inévitable poussée des réalités.

Deinlein, évêque de Bamberg, réclama le placet pour publier le dogme : il fallut que Lutz répondît, qu’il motivât son refus, qu’il se mît en présence du dogme, et qu’il avouât partager les susceptibilités politiques des vieux-catholiques. « Il est impossible, déclarait-il expressément, de voir dans ce décret dogmatique une pure question de conscience et de doctrine religieuse,