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la guerre reste l’unique préoccupation du Monténégrin, sa raison d’être, sa fonction normale ; il vit pour tuer et, lui-même, tient à déshonneur de mourir dans son lit.

Si dénudées que soient les Montagnes noires, les eaux qui en dévalent entraînent avec elles de menues parcelles végétales qu’elles déposent au fond des entonnoirs naturels où elles-mêmes s’infiltrent dans le sol fissuré : ces petites cuvettes, on les aperçoit, de-ci de-là, rompant la monotonie du paysage ; elles sont caractéristiques du pays monténégrin et herzégovinien ; ce sont les champs des montagnards. Les uns n’ont qu’un ou deux mètres de diamètre et l’ingéniosité laborieuse des femmes monténégrines parvient à y faire pousser une minuscule moisson : une gerbe de seigle, trois ou quatre pieds de pommes de terre ou de maïs ; d’autres ont quelques ares ; la petite plaine où sont bâties les maisonnettes de Cettigne était, avant 1878, l’une des plus vastes surfaces cultivables du Monténégro. Tandis que l’homme porte les armes, les femmes, les enfans, les vieillards cultivent ces petites poches de terre noire ou conduisent dans la montagne quelques troupeaux de chèvres et de moutons : c’est à peu près toute l’industrie de ce peuple.

L’isolement au milieu de populations hostiles, la difficulté d’arracher à la montagne de chétives récoltes, ont fait de la Tchernagora le conservatoire des anciennes mœurs. La famille (inokostina) a gardé l’organisation caractéristique des anciennes sociétés slaves : l’égalité entre les divers membres et la jouissance collective de la terre cultivée en commun ; aucun membre de la communauté ne peut posséder de pécule provenant de son travail qui appartient tout entier à la famille ; le père ne peut disposer des biens de la famille sans le consentement des fils ; il est en général l’administrateur de la communauté, mais s’il se montre inférieur à sa tâche, il peut être remplacé par un de ses fils ; en cas de dissolution de la communauté, le père et chacun des fils reçoivent des parts égales. Une zadruga est la juxtaposition de plusieurs familles associées pour cultiver collectivement, sous la direction d’un chef élu, une plus vaste tenure, cette forme, en raison de l’exiguïté des propriétés, est assez rare au Monténégro.

Un événement survint, en l’année 1714, qui allait avoir les plus grandes conséquences pour l’avenir politique du Monténégro. Le renom de Pierre le Grand, qui revendiquait le rôle de