Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 56.djvu/87

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
81
LE MONTENEGRO ET SON PRINCE.

protecteur des Slaves orthodoxes et qui les appelait à la guerre sainte contre la Turquie, avait pénétré jusque dans la Montagne-Noire. Le premier des vladikas Petrovitch, à bout de ressources après l’occupation de Cettigne par l’armée du pacha de Scutari, partit pour la Russie. Le Tsar accueillit avec empressement le vladika et lui donna 10000 roubles d’argent. De là date l’intimité politique entre la grande Russie et le petit Monténégro, entre la dynastie des Romanof et celle des Petrovitch. Les vladikas, à chaque avènement, prirent l’habitude d’aller à Pétersbourg demander l’investiture.

C’est comme alliés des Russes que les Monténégrins eurent à combattre les soldats de Napoléon Ier. Au moment où il fait occuper Raguse et les bouches de Cattaro, l’Empereur écrit au vice-roi d’Italie, le 1er  septembre 1807 : « Ordonnez au général Lauriston d’entrer en liaison avec les Monténégrins ; » il faut « les gagner et s’en faire aimer. » La première expérience ne fut pas heureuse, un détachement français fut repoussé jusqu’à Raguse ; le vladika Pierre, que les Monténégrins vénèrent comme un saint, dirigeait l’attaque impétueuse. Vialla de Sommières nous le dépeint : « ceint du baudrier, la tiare en tête, il excitait le courage et conduisait ses hordes avec autant d’énergie que d’habileté. » Les Monténégrins massacrèrent le général Delgorgue et un aide de camp de Marmont : on vit des têtes françaises sur la « tour des crânes » et les Monténégrins, s’en servant pour jouer aux boules, les trouvèrent légères et bien roulantes. Après les avoir battus, Marmont chercha à les apprivoiser. « Comment se fait-il que vous ne me parliez jamais des Monténégrins, lui écrivait l’Empereur ; il ne faut pas avoir le caractère roide. Il faut envoyer des agens et vous concilier les meneurs de ce pays. » Marmont eut à Cattaro une entrevue avec le vladika ; il essaya de le détacher de l’alliance russe. « Les Russes, répondit Pierre Petrovitch, sont nos frères, dans une même foi et dans une même famille… Les Slaves, sachez-le, attendent leur salut d’une union étroite avec leurs puissans frères russes. Celui qui est l’ennemi des Russes est l’ennemi de tous les Slaves. » Et comme Marmont lui reprochait les cruautés de ses soldats envers les prisonniers, il s’attira la fameuse réponse : « Il est vrai que notre peuple décapite ses ennemis captifs, mais n’est-il pas plus étrange que le peuple français ait décapité publiquement son roi légitime ? » Des relations