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quand nous l’aurons découvert, nous serons sûrs de toucher le fond de la conscience italienne. Or ce principe s’appelle le nationalisme ; et nous le trouverons au point de rencontre du passé, que les ancêtres ont légué aux vivans ; et du présent, que les vivans ajoutent à l’héritage des morts.

Milanais, Florentins ou Napolitains de 1815, tous se souviennent de la gloire ancienne de leur patrie. Ce qui peut paraître aux autres une vanité littéraire, un thème de rhétorique usé à force d’être rebattu, est demeuré pour eux réalité et vie. Fiers de la continuité du lien qui les attache à la grande Rome, ils revendiquent encore le privilège qui l’a rendue deux fois maîtresse du monde, par la force et par l’esprit ; et, cédant à l’illusion d’un rêve trop facile, ils disent volontiers qu’il dure toujours. Mais aussitôt, le présent contredit leurs paroles. Il faut bien qu’ils s’aperçoivent qu’ils ne vivent plus au siècle d’Auguste ou-de Léon X : on est en 1815. Ils viennent de passer par les alternatives les plus tragiques de crainte et d’espoir ; tous les conquérans ont fait briller à leurs yeux le mirage de la liberté rendue, de la nationalité retrouvée ; Eugène l’a dit, Murat l’a répété, les Autrichiens eux-mêmes l’ont fait entendre dans leurs proclamations. Puis, la guerre finie, il se sont vus esclaves, — c’est le mot qu’ils prononcent avec une sorte de rage. Ils ont le sentiment de leur nationalité, et on ne leur permet pas d’être une nation. Dès lors, l’idée maîtresse à laquelle toutes leurs pensées se ramèneront, sera la revendication de leur droit à l’existence. Tous leurs actes vont se juger à sa valeur ; toute leur conduite va s’éclairera sa lumière. Le fait qui va chercher à se préciser, à s’affirmer, à se manifester, et qui dominera toute l’évolution intellectuelle de l’Italie de 1815 à 1830, c’est celui-là.

Tout de suite, les maîtres que la restauration a rétablis sur les différens trônes sentent le danger ; et leur effort va tendre à tuer l’idée, qui est l’ennemie ; ou bien à l’assoupir. En Toscane, par exemple, c’est le remède du sommeil que l’on applique au mal. On traitera le peuple, que le souvenir des crises récentes agite et tourmente encore, par la douceur ; on lui fera oublier l’illusion de la liberté, par la réalité des prospérités matérielles, dont on le comblera ; on le bercera pour qu’il s’endorme : même on s’efforcera de ne le point laisser rêver. Ni procès, ni emprisonnemens, ni supplices ! Il s’agit non de violenter, mais de