Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 56.djvu/878

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lombardo-vénitien, où l’intimidation des témoins, les aveux arrachés par la force ou par la ruse, l’instruction secrète, poursuivaient férocement les délits d’opinion. Les juges se font inquisiteurs, et les policiers bourreaux. En Piémont, ce sont tous les abus d’un despotisme qu’aucun frein n’arrête, et qui s’applique à détruire avec une sorte de rage les souvenirs même des vingt dernières années. Ainsi de suite à l’avenant : les mesures varient avec chaque Etat. Et cette différence de traitement, cet esprit particulariste qu’on nourrit et qu’on cultive, ces barrières qu’on élève et qu’on fortifie, constituent précisément l’obstacle le plus redoutable au développement de l’idée nationale. Elle ne peut exister que si elle est commune à tous les Italiens : or on prend soin qu’il n’y ait pas d’Italiens. Une seule puissance a le droit de s’élever au-dessus des autres, pour leur imposer son esprit et sa loi : l’Autriche. Par ses alliances officielles, par ses influences secrètes, par sa vigilance toujours prête, elle empêche que rien vienne troubler l’état de choses établi. Metternich le déclare nettement : « Une des premières notions, je dirai même la base de la politique contemporaine, est et doit être le repos ; or l’idée fondamentale du repos, c’est la sécurité dans la possession. » Et François II tire la conséquence pratique de ce principe : « Vous savez que mes armes victorieuses ayant conquis l’Italie, il ne peut être question ni de constitution, ni d’indépendance. » En résumé, à la conscience italienne qui se réveille, et réclame la liberté, la servitude s’impose ; et avant que l’idée nationale passe de l’aspi- ration à l’acte, on cherche à l’étouffer.

Logiquement donc, les Italiens s’efforceront de lutter contre cette oppression ; et la première idée qui se présentera aux esprits sera d’agir directement contre elle. Puisque l’existence d’un parti est impossible, on aura des sectes ; puisqu’il est défendu de se montrer au grand jour, on travaillera dans l’ombre ; faute de manifester, on complotera. Ainsi le nationalisme explique le premier aspect que revêt le libéralisme : il s’adapte tout naturellement aux conditions de son milieu ; il répond à la violence ouverte par la violence cachée ; il forme des sociétés secrètes, qui bientôt comptent leurs adhérens par milliers. Et nous tenons ici une de ces différences caractéristiques, un de ces traits locaux, particuliers, irréductibles, que nous cherchons. Car les étrangers comprennent mal ce que fut le carbonarisme, ainsi