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Il ne s’agit plus ici, on le voit, de la colère boudeuse qui s’en prend tour à tour, et sans bien distinguer, à tous les sujets de mécontentement, grands ou petits. L’hostilité de l’Italie à l’égard de la France s’explique par les torts de la France à l’égard de l’Italie ; c’est le règlement d’un compte qui a commencé dans le passé ; et davantage encore, c’est une sauvegarde pour l’avenir. Si, après 1815, la tyrannie des armes ayant cessé, la tyrannie intellectuelle durait encore ; s’il fallait continuer à se nourrir d’idées françaises, à les exprimer dans une langue francisée ; s’il fallait donner raison à ces voyageurs insolens et fats venus de Paris, qui semblent moins visiter un pays étranger, qu’inspecter une de leurs terres, — l’espoir de tous les penseurs, cette littérature nationale qu’on cherche à ressusciter, avant de créer la nation, et faute de pouvoir la créer tout de suite, cet esprit italien qui doit être le salut, tout cela serait irrémédiablement compromis. On peut dire qu’il y a là une question vitale. Les cris des littérateurs, interprétons-les donc comme les appels de gardiens vigilans, qui exagèrent peut-être le danger, mais qui ont le mérite de le prévenir. Et leur attitude est d’autant plus légitime que, parmi les écrivains français, les plus clairvoyans commencent à leur faire écho : ils conseillent à l’Italie, non pas l’hostilité sans doute à l’égard de la France, mais l’indépendance la plus absolue. Car une autre génération est née, pour qui l’hégémonie littéraire est un héritage injuste qu’il faut abandonner. Nourrie par la Révolution, et partant du principe des nationalités, elle pousse jusqu’au bout ses conséquences, sans dévier : si toute nationalité est légitime, est légitime aussi toute littérature ; plus de goût dogmatique qui régente, plus de hiérarchie surtout, plus de domination de l’une à l’autre : elles sont également belles, du moment où elles sont également libres. Que l’Italie, si elle a besoin encore de guides et de modèles, — non pas pour les suivre aveuglément, mais pour apprendre, au contraire, à sentir et à penser par elle-même, — se garde bien de se confiner désormais dans l’imitation de la France, comme elle l’a fait trop longtemps ! Qu’elle s’adresse, au contraire, à l’Allemagne et à l’Angleterre, dont le génie original est tout prêt à lui fournir des leçons d’indépendance ! Telles sont les idées que préconisent et que professent l’ardente Mme de Staël et le sage